This is the body of the Master's thesis that I defended at the Sorbonne in 1979. Although I am still enough in agreement with the points I made here to want to publish it on the web, it is a Master's thesis that I wrote a long time ago in a foreign language. My web publisher cannot handle logical notation and doesn't reproduce the reproduce the notes correctly. So its publication on the web has some shortcomings.

 

La logique des expressions intentionnelles,

Etude de philosophie comparée

 

Mémoire de Maîtrise

présenté par Claire Hill

 

M. le Professeur M. Clavelin, directeur

Université de Paris-Sorbonne

1er avril 1979

 

TABLE DE MATIÈRES

 

INTRODUCTION

 

I. LA THÈSE DE BRENTANO

A. La présence intentionnelle distingue les phénomènes mentaux des phénomènes physiques

B. L'intérêt actuel de la thèse de Brentano

C. Les expressions intentionnelles résistent aux méthodes extentionnelles

l. le principe de substitutivité des identiques

2. le principe de généralisation existentielle

 

II. FREGE : les expressions intentionnelles ont une dénotation indirecte laquelle coïncide avec leur sens habituel

A. Son anti-psychologisme

B. Réflexions sur le langage

C. Expression, objet, signification

D. Le sens et la dénotation de l'énoncé affirmatif pris comme un tout

 

III. HUSSERL: la science d'intentionnalité

A. Rejet du psychologisme

B. Réflexions sur le langage

C. Expression, objet, signification

D. Les expressions objectives vs. les expressions essentiellement subjectives

E. L'élargissement de l'horizon de recherche

 

IV. HINTIKKA

A. La sémantique des mondes possibles est la logique d'intentionnalité

B. D. Føllesdal: "Comme on peut s'y attendre les noèmes ressemblent, en presque tout, aux Sinne linguistiques"

C. L'identification d'individus à travers des mondes possibles et la constitution husserlienne sont, au fond, identiques

 

V. ANALYSES ET CONCLUSIONS

 

APPENDICE: Husserl: lecteur de Frege

INTRODUCTION

 

Ces dernières années dans les pays anglo-saxons plusieurs auteurs ont cherché à établir des parallèles entre la philosophie analytique et la phénoménologie. Autour de ce renouveau d'intérêt pour un sujet longtemps anathématisé on a produit une littérature abondante; les traductions ont proliféré. Il semble que l'on cherchait à faciliter la communication et la compréhension entre les deux traditions disparates dominant la philosophie du vingtième siècle. Mais les corrélations établies etaient trop souvent générales et faibles, n'admettant que des rapprochements superficiels.

Cependant, au milieu de cette littérature une tendance plus importante s'est fait jour. De nos jours, afin d'éclairer certains problèmes présentement posés dans la sémantique contemporaine, certains auteurs s'intéressent à l'époque au cours de laquelle ce schisme idéologique s'est produit. Ils réexaminent soigneusement l'œuvre de Brentano, de Frege, de Meinong et de Husserl entre autres. La pensée de ces philosophes du tournant du siècle avait pris racine dans un même terrain philosophique ; ils étaient héritiers de l'idéalisme allemand ; ils étaient concernés par les mêmes problèmes philosophiques. Pourtant, leurs réflexions donnaient naissance à des mouvements philosophiques antithétiques.

La réévaluation de l'œuvre de Husserl et de Frege actuellement en cours a mené certains à souligner les affinités idéologiques existant entre ces deux auteurs et à proposer que certaines notions fondamentales de la sémantique de Frege, telles qu'elles se trouvent élaborées chez Husserl, peuvent présenter une façon fructueuse d'aborder certains problèmes posés dans la sémantique anglo-saxonne de nos jours.

En particulier, on a suggéré que Husserl sut faire valoir certaines notions qu'il tenait de Frege et que l'examen de sa façon d'élaborer ces notions pourrait aider à résoudre les problèmes d'ordre logique posés par les expressions intentionnelles. L'éclaircissement de ces problèmes aurait, estiment certains, des incidences sur l'interprétation de la thèse d'intentionnalité même.

Nous nous proposons, ici, d'examiner à fond ces efforts en nous appliquant a l'étude de trois thèmes qui s'y trouvent entrelacés: l) le regain d'intérêt pour la thèse de Brentano et les particularités de son élaboration chez Husserl; 2) les rapports éventuels existant entre la theorie sémantique de Frege et la phénoménologie de Husserl; 3) la sémantique des mondes possibles, sa susceptibilité à résoudre les problèmes entourant la logique des expressions intentionnelles, et ses rapports éventuels avec la phénoménologie de Husserl.

Nous chercherons à tirer de cette étude des conclusions concernant la valeur, la légitimité, et le bien fondé de ces efforts de philosophie comparée.

 

 

LA THÈSE DE BRENTANO

 

La présence intentionnelle distingue les phénomènes mentaux des phénomènes physiques

En 1874, dans son livre Psychologie du point de vue empirique, Franz Brentano réintroduit la notion scolastique d'intentionnalité. Il cherchait à tracer la distinction entre les phénomènes dits physiques et ceux dits psychiques, et il croyait avoir trouvé dans cette notion médiévale le signe distinctif de ces derniers. "Le monde entier," écrivit-il, "se divise en deux classes, la classe des phénomènes physiques et la classe des phénomènes psychiques" mais "en ce qui concerne la détermination des deux domaines, on n'est pas encore arrivé à l'accord complet, ni à la pleine clarté. Nous avons déjà vu que des phénomènes physiques, qui se manifestent dans l'imagination, passent pour des phénomènes psychiques. Mais il y a beaucoup d'autres cas de confusion."

Après avoir examiné à fond les opinions de ses contemporains à ce sujet, Brentano conclut que les phénomènes psychiques se distinguent des phénomènes physiques du fait que, à la différence de ces derniers, les phénomènes psychiques se dirigent vers des objets ayant la particularité d'être intentionnels, c'est à dire mentalement contenus dans l'acte psychique même. En remettant en usage cette notion scolastique Brentano espérait mettre fin à des confusions soulevées par le recouvrement de l'un domaine par l'autre. L'essentiel de sa découverte se trouve exposé dans ce court passage:

Ce qui caractérise tout phénomène psychique, c'est ce que les Scolastiques du Moyen Âge ont appelé la présence intentionnelle (ou encore mentale) et ce que nous pourrions appeler nous-mêmes... rapport à un contenu, direction vers un objet (sans qu'il faille entendre par là une réalité) ou objectivité immanente. Tout phénomène psychique contient en soi quelque chose à titre d'objet, mais chacun le contient à sa façon. Dans la présentation, c'est quelque chose qui est représenté, dans le jugement quelque chose qui est admis ou rejeté, dans l'amour quelque chose qui est aimé, dans la haine quelque chose qui est haï, le désir quelque chose qui est désiré et, ainsi de suite.

Cette présence intentionnelle appartient exclusivement aux phénomènes psychiques. Aucun phénomène physique ne présente rien de semblable. Nous pouvons donc définir les phénomènes psychiques en disant que ce sont les phénomènes qui contiennent intentionnellement un objet (Gegenstand) en eux.

Pour ses héritiers la thèse de Brentano s'avéra féconde. Pour Husserl, elle devint la notion fondamentale de la phénoménologie ; d'autre part elle fut l'objet de recherches importantes faites, entre autres, par Meinong. Elle fut accueillie par les néo-réalistes anglais du tournant du siècle, puis repoussée par la philosophie analytique. Ces dernières années elle gagne de nouveau du terrain dans la philosophie anglo-saxonne.

Les questions posées autour de cette thèse de Brentano se rangent, surtout, dans deux catégories. Du point de vue psychologique, elle touche aux problèmes qui se posent autour du dualisme (prétendu ou non) entre l'esprit et le corps. Pour Brentano l'intentionnalité dans le sens de référence à un contenu est l'attribut décisif et indispensable de tout ce qu'on désigne comme psychique. Elle prend sa place, en tant que telle, comme partie intégrante de la définition de l'esprit humain. Mais les successeurs de Brentano sont moins certains que lui que 'le monde des phénomènes se divise en deux…' et on a cherché à expliquer les phénomènes traditionnellement désignés comme mentaux en termes purement physicalistes. On est très loin de la solution définitive aux questions psychologiques que suggère la thèse de Brentano, et on n'a pas encore trouvé l'explication satisfaisante du fait que les phénomènes dits mentaux semblent se référer à un contenu d'une façon qui leur est particulière.

Du point du vue ontologique ces objets auxquels nous aurions à faire sortent de l'ordinaire. Si tout phénomène physique se caractérise par la présence intentionnelle (mentale) d'un objet (pas nécessairement une réalité), ou d'une objectivité immanente, et

l'objet auquel se rapporte un sentiment n'est toujours pas un objet extérieur. Quand j'entends un son harmonieux, le plaisir que j'éprouve n'est pas dû en réalité au son, mais au fait que je l'entends.

Alors, de quelle sorte d'objet s'agit-il ?

Wittgenstein nous offre un exemple qui met en évidence la différence qui existe entre les objets des phénomènes mentaux et des phénomènes physiques quand il écrit: "Je peux le chercher quand il n'est pas là, mais je ne peux pas le pendre quand il n'est pas là". On voit bien par cet exemple que l'homme qu'on cherche jouit d'une existence quelque peu plus ambiguë que l'homme qu'on pend. Le premier peut ou non exister hors des pensées de Wittgenstein, mais le second, doit exister de façon beaucoup plus concrète pour être l'objet d'une pendaison. De même, Don Quichotte pourrait prétendre que les moulins à vent soient des géants aux grands bras, et cela n'implique nullement l'existence, ni des moulins à vent, ni des géants aux grand bras ouverts. Or, quand il luttait, il luttait contre les moulins à vents, et des moulins à vent bien existants.

Les objets dont il est question sont, donc, ontologiquement moins déterminés, moins certains que les objets des phénomènes physiques. A la différence de ceux-ci, ils ont le privilège d'exister ou de ne pas exister hors de l'esprit de celui qui les saisit.

F. Jacques formule bien la situation à laquelle nous sommes confrontés quand nous concevons l'idée qu'il peut exister des entités qui flottent ainsi entre l'existence et l'inexistence quand il nous rappelle que:

... le fait d'être intentionnellement orienté vers des objets qui n'existent pas, de pouvoir s'ouvrir à tous les quasi-mondes ouverts à notre intelligence, de les adapter en imagination et en sympathie implique des objets qui ne sont ni des choses réelles, ni un pur rien.

Les objets qui sont, de cette manière intrinsèquement impalpables et possèdent, donc, une existence ambiguë, ces objets peut-on les adopter pour notre raisonnement ? Quelle pourrait être la nature de tels objets, comment pourrait-on les connaître? Si nous ne les adoptons pas, comment peut-on les bannir? Que veut, donc, dire la présence intentionnelle ?

 

L'intérêt actuel de la thèse de Brentano

L'intentionnalité en tant que signe distinctif du psychique naquit avec le schisme en philosophie et sa venue au monde était accueillie diversement par les deux traditions. Elle entra dans la pensée du vingtième siècle dans l'œuvre de Brentano. Pour Husserl, l'élève de Brentano, elle devint une idée directrice de la phénoménologie. Husserl écrivit que sans Brentano il n'aurait jamais écrit un mot de philosophie, et de la notion d'intentionnalité il affirma: "... (it) constitutes a great discovery apart from which phenomenology could not have come into being at all".

Norman Kretzmann, dans son article sur l'histoire de la sémantique dans l'Encyclopedia of Philosophy, établit bien le lien éventuel existant entre la thèse de Brentano et les questions plutôt sémantiques. Il s'explique ainsi:

The "intending" of a mental state bears a close enough resemblance to what is called significance in other contexts that much of what Brentano and his followers had to say in working out their central doctrine of intentionality has some relevance to semantics, broadly conceived. More specifically the notion of intentionality underlies the considerable discussion in semantics of intentional contexts produced as a result of the ordinary use of such "intentional" words as "believe" etc.

Cette "discussion considérable" eut son origine dans l'œuvre de Gottlob Frege. Frege reconnut dès l'abord que les expressions intentionnelles étaient rebelles (ie. intensionnelles) aux méthodes de la logique extentionnelle qu'il élaborait. Cependant, il les assimila dans son schéma en ajoutant qu'une expression prétendant décrire un état de conscience ne renvoyait pas à sa dénotation (Bedeutung) usuelle, mais plutôt à son sens habituel (Sinn).

Les héritiers de Frege dans les pays anglo-saxons ont cherché à se libérer du psychologisme en faveur d'une analyse purement physicaliste et extentionnelle des phénomènes psychiques. Le fait que les expressions intentionnelles (les attitudes propositionnelles) restaient réfractaires à ces efforts n'a pas cessé de leur présenter un problème épineux. Les premiers philosophes anglais et américains ont cherché sans succès une résolution.

Le concept d'intentionnalité constitue, donc, un point d'intersection historique pour les deux traditions aussi bien qu'un sujet de désaccord qui pénètre dans le vif du conflit idéologique de la philosophie de notre siècle.

De surcroît, et de manière plus fondamentale, il touche à l'essentiel de l'entreprise philosophique même. Une façon de discerner l'importance qu'il a pour la philosophie en général est de considérer son image dans les déclarations de philosophes représentant des prises de positions diverses à l'intérieur de la pensée anglo-américaine, un courant de pensée dont les principes de base lui sont antithétiques. Considérons par exemple:

Jaakko Hintikka: ...there a few more questions more important than this problem of characterizing the nature of intentionality. For the question is then: what is characteristic of consciousness, conceptualizable human mental life and experience. This question is intimately related to the salient philosophical questions: What is man? And: What is thinking?

 

Willard Van Orman Quine: The Scholastic word 'intentional' was revived by Brentano in connection with the verbs of propositional attitude and related verbs of the sort studied in par. 32 -"hunt", "want", etc. The division between such idioms and the normally tractable ones is notable. We saw how it divides referential from non-referential occurences of terms. Moreover it is intimately related to the division between mentalism and behaviorism, between efficient cause and final cause, and between literal theory and dramatic portrayal.

 

John Searle: This ties in with what, to me, are the two central questions in contemporary philosophy: "How does language relate to reality?", which all philosophers of language are concerned with in one way or another, and "What is the nature of human action?" Why is it that the methods of science have not given the kinds of results in the study of human behavior that they have been able to give us elsewhere? Or, to put that more pointedly, why has so much of the social sciences seemed to be a bore and unproductive?

These two families of questions come together in the notion of what philosophers call 'intentionality'. Intentionality was a term introduced by Brentano and....

 

Les expressions intentionnelles résistent aux méthodes extentionnelles

Les philosophes anglo-américains ont, selon leur coutume, choisi de traiter la face logico-linguistique du problème d'intentionnalité. Pour le philosophe du langage anglo-saxon de nos jours les problèmes soulevés par la thèse de Brentano se manifestent, surtout, dans la distinction entre les contextes intensionnels et les contextes extentionnels. Ainsi on trouve sous la rubrique "Intentionality" dans l'Encyclopedia of Philosophy la déclaration suivante :

A useful approach to this problem can be made by noting that the locutions used in expressing, ascribing, and describing intentions are non-extentional possessing the peculiar formal properties that have been called "marks of intentionality".

Les contextes intentionnels posent, donc, des problèmes d'ordre purement logique, mais certains philosophes estiment que ces questions logiques ont un rapport quelconque avec les efforts d'isoler et d'expliquer les différences entre les phénomènes mentaux et les phénomènes physiques eux-mêmes. Ainsi Herbert Feigl résume sa position anti-behaviouriste en termes logico-linguistiques en écrivant:

The mind/body problems in the larger sense therefore have customarily included such questions as, Can we give a physical account of how thoughts, beliefs, desires, sentiments, etc. etc. can be about something? Can we give a naturalistic translation of the language of reasoning as it occurs in arguments, ie. discourse in which we give reasons intended to support knowledge claims or value judgements?

I think it has become increasingly clear that the answer must be in the negative; but not because human behavior involving "higher thought processes" is not in principle capable of physical explanation and prediction; but rather because the problem is one of the logical reductibility or irreductibility of discourse involving aboutness (i.e. intentional terms), to the language of behavioristic or neurophysiological description. Personally, I therefore consider the problem of intentionality not as a part of the psycho-physical but rather as a part of the psycho-logical problem i.e. as part of the relation of the psychological to the logical forms of discourse.

Ces deux auteurs soulignent le fait que, du point du vue de la logique, il existe des différences irrécusables entre les contextes non-intentionnels et les contextes intentionnels. Ces derniers se montrent réfractaires (i.e. intensionnels) à certains principes fondamentaux de la logique extentionnelle. La particularité la plus frappante des expressions intentionnelles est que le principe de la substitutivité des identiques devient illégitime dans ces contextes.

 

Le principe de substitutivité des identiques

Le principe de substitutivité des identiques découle de la loi d'identité de Leibniz selon laquelle chaque entité est identique à elle-même, et 'x' et 'y' sont identiques si tout ce qui peut se dire de l'un peut se dire de l'autre. La première partie de cette formule pourrait être jugée triviale, mais la seconde ne l'est pas. L'expression 'x=y' est à la fois vraie (les deux termes désignent le même objet), informative (elle réunit deux termes différents) et utile. Elle rend compte du fait que notre langage n'est pas univoque. Nous nous trouvons en présence de termes redondants. Plusieurs noms peuvent renvoyer au même objet, et la notion d'identité s'avère utile, voire nécessaire, pour réduire le jeu.

Cette loi a pour conséquence que si deux termes, 'x' et 'y', renvoient au même objet ils sont, de ce fait, interchangeables partout salva veritate, ou: étant donné un énoncé d'identité vrai, l'un de ses termes peut être substitué à l'autre dans n'importe quel énoncé vrai et le résultat sera vrai. Formellement ce principe s'écrit:

x = y E F(x) = F(y)

Ce principe de substitutivité des identiques est d'une grande importance pratique et constitue un des principes de base de la logique extentionnelle. Les intuitions le sous-tendant paraissant indiscutables, il semble logiquement hors d'atteinte. Considérons, par exemple, l'équation suivante:

Stendhal = Henri Beyle

et les énoncés suivants :

1) Stendhal et Balzac se rencontrèrent le onze avril 1813 sur le Boulevard, chez Boulay.

2) Le 22 mars 1842 à 7 heures du soir, Stendhal fut frappé d'apoplexie sur le trottoir de la rue Neuve-des-Capucines.

Il est intuitivement évident que puisque les noms Stendhal et Henri Beyle désignent, le même écrivain français du 19ème siècle né le 23 janvier 1783 à Grenoble, la substitution d'un des deux noms par l'autre n'aura aucune incidence sur la vérité ou fausseté de l'énoncé. Nous aurions pu également écrire:

3) Henri Beyle et Balzac se rencontrèrent le onze avril sur le Boulevard, chez Baulay.

ou :

4) Le 22 mars l842 à 7 heures du soir, Henri Beyle fut frappé d'apoplexie sur le trottoir de la rue Neuve-des-Capucines.

Les couples d'expressions (l) et (3), et (2) et (4) expriment exactement les mêmes faits concernant le même individu, et donc ils auront toujours les mêmes conditions de vérité. Nos intuitions fondamentales concernant les mots et les choses auxquelles ils renvoient sont, alors, confirmées: la valeur de vérité n'est pas troublée par la façon de désigner l'objet. L'important est que les noms Henri Beyle et Stendhal désignent le même individu, et que les faits historiques sanctionnent ce qu'on a affirmé à propos de cet individu.

Pourtant, et malgré la sûreté apparente de ce principe, les conditions d'interchangeabilité salva veritate varient selon la richesse du langage, et il est facile de trouver des cas qui sont réfractaires à l'application de ce principe. Admettons, par exemple, l'identité:

5) Clark Kent = Superman

et l'énoncé vrai :

6) Superman a été ainsi nommé puisqu'il pouvait sauter des gratte-ciels d'un seul bond.

Le remplacement du nom 'Superman' par le nom 'Clark Kent' rend (6) faux:

7) Clark Kent a été ainsi nommé puisqu'il pouvait sauter des gratte-ciels d'un seul bond.

De plus, les énoncés:

8) Dulcinée du Toboso = Aldonza Lorenzo

et

9) 'Dulcinée du Toboso' s'écrit avec seize lettres.

sont vrais, mais la substitution du premier nom au second rend (9) faux.

Toutefois, ces violations sont relativement anodines et peuvent être écartées assez facilement. Les énoncés (6) et (9) ont pour sujet les noms Dulcinée et Superman et non pas les individus désignés par ces mots. Dulcinée du Toboso et Aldonza désignent, effectivement, cette même impératrice de la Manche, la dame suzeraine des pensées de Don Quichotte, mais 'Dulcinée du Toboso' nous renvoient simplement aux mots Dulcinée du Toboso et pas à l'objet des lamentations amoureuses du chevalier errant. De même (6) nous renseigne sur l'appellation 'Superman' et non pas sur ce surhomme qui lutte pour la Vérité, la Justice et les valeurs américaines.

Cependant, les expressions intentionnelles résistent, elles aussi, à la substitution, et de façon beaucoup plus subtile. Considérons par exemple:

10) Jean Valjean = M. Madeleine

11) Marius Pontmercy croit que Jean Valjean est un assassin et un voleur.

Des termes co-désignatifs faisant occurrence dans les énoncés portant sur les phénomènes mentaux ne sont plus nécessairement interchangeables. De (10) et (11) il ne s'ensuit pas que nous sommes en droit d'inférer et que

12) Marius Pontmercy croit que M. Madeleine est un assassin et un voleur,

ce qui est manifestement faux puisque M. Pontmercy croit que M. Valjean est un voleur parce qu'il a volé et causé la ruine de ce même M. Madeleine.

Le fait que Clark Kent et Superman sont une seule et même personne et que

13) Lois Lane sait que Clark Kent est un journaliste d'une disposition douce,

n'implique nullement que

14) Lois Lane sait que Superman est un journaliste d'une disposition douce.

Ces défaillances du principe de la substitutivité, connues depuis l'instauration de la logique extentionnelle n'ont pas cessé d'attirer l'attention des philosophes du langage, et au lieu d'abandonner un principe de la sémantique si fondamental et si utile, on a cherché à donner une analyse de ces expressions, dites "intensionnelles" qui pourrait rendre compte de ces difficultés. L'histoire de la sémantique depuis Frege est en grande partie la chronique de ces efforts.

 

Le principe de généralisation existentielle

La recherche d'un moyen d'expression permettant de prévenir les erreurs résultant de l'instabilité et de la mutabilité du langage conduit Gottlob Frege à l'élaboration d'une écriture conceptuelle. Il considéra que dans le langage usuel la forme grammaticale des énoncés nous cache leur vraie forme logique et nous induit en erreur. Bien que les deux énoncés

l) César conquit les Gaules.

et

2) Les Gaules furent conquises par César.

se revêtent de formes grammaticales différentes, ils ont, pour la logique, le même contenu conceptuel. L'analyse grammaticale en termes de sujet et prédicat ne respecte pas cette unicité de contenu, et elle ne peut que faire violence à la pensée qu'exprimeraient ces deux énoncés. Frege proposa, donc, une analyse en termes de fonction et argument.

Il estima que tout ce qui peut être affirmé d'un objet désigné par un terme singulier donné est affirmé de quelque chose, et peut être représenté symboliquement par l'expression F(x), c'est à dire nous avons à faire à un terme 'x' et nous affirmons quelque chose, F, de ce terme. L'essentiel de n'importe quel énoncé s'exprime par l'expression F(x), et tout énoncé, aussi complexe soit-il, peut être réduit a cette forme.

En introduisant le quantificateur existentiel nous pouvons faire des réductions supplémentaires. Selon le principe de généralisation existentielle tout terme singulier figurant dans un énoncé peut être remplacé par une variable liée par un quantificateur existentiel placé devant la formule en question. Certaines formes de discours entraînent des engagements ontologiques compromettants et le recours au quantificateur existentiel nous permet d'éviter de tels engagements. L'énoncé "Pégase devint la monture de Zeus" exprimé:

Ex F(x)

n'implique nullement l'existence de chevaux volants et l'énoncé "Le roi actuel de France est chauve" exprimé

(Ex) Rx . (y) Ry (y = x). Bx

n'est ni absurde, ni dépourvu de sens ; il est manifestement faux. Il n'existe aucune valeur pour x telle que x soit actuellement le roi de France et chauve.

La quantification existentielle ajoute, donc, rigueur et précision à nos raisonnements. La substitution de constructions logiques à des entités inférées nous permet de rendre clair nos engagements ontologiques et nous fournit des moyens efficaces de bannir de notre univers de discours des entités superflues, suspectes ou chimériques. Par ces moyens, nous pouvons déterminer, en termes simples, clairs et maniables, la vérité ou la fausseté d'une grande partie des énoncés de notre langage.

Or, la quantification existentielle est illégitime dans les contextes intentionnels. Des énoncés décrivant des phénomènes psychiques peuvent se rapporter à des noms ou des locutions descriptives de manière que ni l'énoncé, ni sa négation n'implique l'existence ou non existence de ce qui est décrit. Considérons les énoncés suivants:

l) Don Quichotte croit que la chevalerie est un ordre religieux et qu'il y a des saints chevaliers dans le paradis.

2) Cervantes estime que la vérité, si fine qu'elle soit, ne casse jamais, et qu'elle nage sur le mensonge comme l'huile au dessus de l'eau.

3) Don Quichotte craint que le malin enchanteur ait métamorphosé le visage de la belle sans pareille Dulcinée en museau de quelque vampire.

4) Don Quichotte croit qu'il est de l'essence de tout chevalier errant d'être amoureux.

On voit bien chaque fois que la vérité ou la fausseté de la subordonnée n'a aucune incidence sur la vérité ou fausseté de l'énoncé complet. Il est peut être vrai que Don Quichotte craignait et croyait ainsi qu'on l'a décrit, mais cette éventualité est indépendante de l'existence éventuelle d'essences, de paradis, ou de vampires. Cervantes aurait bien pu avoir ses croyances à lui, sans que la vérité existe ou sans que, si elle existe, elle soit si peu fragile.

La généralisation existentielle est, de ce fait, sans force dans ces contextes. Bien qu'on puisse juger faux l'énoncé:

"La vérité, si fine qu'elle soit, ne casse jamais, et elle nage sur le mensonge comme l'huile au dessus de l'eau."

en le récrivant :

Ex (x est fine, x est incassable, et x nage sur le mensonge)

la vérité ou la fausseté de l'énoncé complet ne dépend nullement de la vérité ou la fausseté de ses parties composantes. Les contextes intentionnels résistent aux méthodes extentionnelles; ils sont intensionnels.

Par moyen des exemples précédents nous avons examiné des énoncés intentionnels ou les termes singuliers référaient aux entités non-existantes. Il y a, cependant, un second cas à considérer: là ou on attribue à quelqu'un une intention définie. Considérons à titre d'exemple:

5) Don Quichotte croit qu'il existe quelqu'un qui a métamorphosé le visage de Dulcinée en museau de vampire.

On a à faire à deux interprétations possibles:

5a) Don Quichotte croit qu'il existe quelqu'un (qui que ce soit) qui a....

5b) Il existe quelqu'un dont Don Quichotte croit qu'il a métamorphosé ....

La seconde croyance est définie (de re) et pourrait inciter Don Quichotte à remettre quelqu'un aux mains de l'inquisiteur ; la première (indéfinie, de dicto) non. La différence entre les deux énoncés peut être représentée par :

5a') Don Quichotte croit que Ex (x a métamorphosé...)

5b') (Ex) (x a métamorphosé... et Don Quichotte croit que x a métamorphosé...)

5a' ne pose pas de problème pour la quantification existentielle. On a quantifié à l'intérieur du contexte intentionnel; on n'a pas, comme pour 5b' quantifié directement dans le contexte intentionnel.

 

FREGE

 

Gottlob Frege: les expressions intentionnelles ont une dénotation indirecte laquelle coïncide avec leur sens habituel

L'histoire des tentatives de résolution des problèmes logiques posés par les expressions intentionnelles commence dans l'œuvre de Gottlob Frege.

Frege fut essentiellement mathématicien, mais ses innovations en ce domaine avaient une portée plus vaste. Ces innovations qu'il porta à la logique mathématique pour étayer ses convictions et pour atteindre la précision requise pour la réalisation des ses projets changèrent profondément la logique, le révélèrent comme le logicien le plus puissant depuis Aristote, et donnèrent naissance au mouvement analytique en philosophie.

 

Son anti-psychologisme

Les découvertes logiques de Frege ressortirent de son opposition au psychologisme qui régnait en Europe à l'époque. Il émit des protestations véhémentes contre le point de vue selon lequel les opérations de l'esprit qui jouent dans l'acquisition ou l'emploi des concepts figurent dans l'analyse de ses notions. Pour lui les vérités logiques étaient des vérités éternelles existant indépendamment du temps et de l'esprit humain.

Frege trouva en John Stuart Mill un adversaire redoutable. Pour Mill, un des tout premiers défenseurs du psychologisme, les lois de logique trouvaient leur source dans les expériences subjectives où elles se sont réalisées, et elles pouvaient être expliquées de façon satisfaisante par le psychologisme empirique. Elles se trouvent au même niveau que les vérités des sciences naturelles. Mill exposa son point de vue dans le Système de Logique. Il écrivit:

Quel est le fondement de notre croyance aux axiomes (de géométrie) ? Sur quoi repose leur évidence. Je réponds: ce sont des vérités expérimentales; des généralisations de l'observation. La proposition, Deux lignes droites qui se sont rencontrées une fois ne se rencontrent plus et continuent de diverger, est une induction résultant du témoignage de nos sens.

Chez Mill, donc, les lois psychologiques qui agissent sur les data de l'expérience donnent une explication satisfaisante de la croyance que de telles lignes ne peuvent aucunement enfermer un tel espace. Il n'y a donc pas lieu de chercher des sources hors de l'expérience pour expliquer une telle croyance.

A la différence de Mill, Frege s'efforça d'ancrer la science dans la logique. Platoniste et réaliste, Frege fulmina contre l'opinion contraire. Dans son "Compte Rendu de Philosophie der Arithmetik de E. G. Husserl" on peut lire:

Ainsi J. Stuart Mill, et notre auteur (Husserl) y acquiesce, fait pénétrer l'objet (whether physical or mental) dans les états de conscience; les objets constituent des parties des états de conscience. Mais un objet, la lune par exemple, ne risque-t-il pas de peser lourd sur l'estomac de l'état de conscience? Si tout est représentation, il est facile de modifier les objets par un apport ou un retrait d'attention. Le retrait d'attention est particulièrement efficace. On se désintéresse d'une propriété et elle s'efface.... Supposons qu'un chat blanc, un chat noir sont assis devant. Si nous ne prêtons plus l'attention à la couleur, les voici incolores; mais ils sont toujours assis l'un à côté de l'autre. Si nous négligeons leur posture, ils ne sont plus assis, sans pourtant prendre une autre posture, et ils demeurent à la même place. Négligeons leur place, les voici sans feu ni lieu, mais ils demeurent bien distincts. Et peut être avons-nous tirés de ces animaux un concept général de chat. En répétant le procédé chaque objet se transforme en un spectre de plus en plus exsangue.

Il termine son invective avec les mots suivants:

... j'ai pu mesurer l'extension des ravages dus à l'intrusion de la psychologie dans la logique et j'ai cru qu'il m'incombait de mettre en lumière les dommages subis par la logique. Les fautes j'ai cru devoir signaler sont dues moins à l'auteur qu'à une maladie largement répandue de la philosophie elle-même.

 

Réflexions sur le langage

Afin de réfuter le psychologisme et de fournir à la science les bases conformes à ses idéaux de précision, Frege se mit à l'étude de langage et à l'élaboration d'une idéographie. Il jugea sévèrement le langage ordinaire qu'il considérait inadéquat à ses desseins. Les expressions qu'il lui fallait accepter étaient trop lourdes et elles étaient assujetties à une analyse grammaticale (i.e., découpage aristotélicien) inadéquate. Il fallait découvrir la vraie forme logique de langage qui est cachée derrière le langage habituel. L'élaboration d'une écriture conceptuelle basée sur le modèle du langage d'arithmétique s'impose pour assurer que rien d'intuitif ne pénètre inaperçu dans le raisonnement.

Dans son article, "La science justifie le recours à une idéographie", Frege discute les défauts, mais aussi les mérites du langage ordinaire. Il s'exprime ainsi:

Les défauts que nous avons signalés ont leur origine dans une certaine instabilité et mutabilité du langage, qui sont par ailleurs la condition de faculté d'évolution et de ses ressources multiples. Le langage peut à cet égard être comparé à la main qui, malgré sa capacité à remplir des tâches extrêmement diverses, ne nous suffit pas. Nous faisons de mains artificielles, des outils conçus pour des buts spéciaux et qui accomplissent le travail avec une précision dont la main n'était pas capable. Comment obtient-on cette précision? Grâce à la rigidité, à l'indéformabilité des pièces à ce dont l'absence rend (à l'inverse) la main si diversement habile. Le langage parlé a la même insuffisance: aussi avons-nous besoin d'un ensemble de signes purifiés de toute ambiguïté, et dont la forme strictement logique ne laisse pas échapper le contenu.

 

Expression, objet, signification

La recherche de la vérité poussa Frege à faire des recherches sur le langage dans son rapport avec ce qu'il décrit. Ces recherches le menèrent à distinguer entre le sens (Sinn) et la signification (Bedeutung) de nos expressions. Normalement, un nom propre (mot, signe, combinaison de signes, expression) désigne un objet. Cet objet est pour Frege le Bedeutung de l'expression. Ce mot "Bedeutung" qui se traduit normalement en français par signification, on l'a plus souvent, dans les contextes frégéens, traduit par référence ou dénotation.

Ce rapport à un objet peut être multiple : plusieurs mots ou autres signes peuvent dénoter un seul et même objet L'exemple classique que Frege nous offre est celui des expressions "l'étoile du soir" et "l'étoile du matin". Ces deux expressions désignent tous deux la même planète Vénus. Du fait qu'elles ont la même référence on peut substituer l'un à l'autre sans altérer la valeur de vérité de l'énoncé dont elles font partie.

Or l'énoncé "l'étoile du matin est identique à l'étoile du soir" n'est pas trivial (i.e. de la forme a=a); il est informatif (de la forme a=b), et en tant que tel, il peut avoir un contenu fort précieux pour la science! Frege explique le phénomène en introduisant le troisième élément de sa théorie sémantique : le sens.

Le sens contient le mode de donation de l'objet en question. Bien que la dénotation d'"étoile du soir" et d'''étoile du matin" soit la même, leur sens est différent. Frege décrit ainsi les rapports éventuels qui peuvent exister entre les trois éléments de sa sémantique. "Au signe", il nous informe,

correspond un sens déterminé et au sens une dénotation déterminée tandis qu'une seule dénotation (un seul objet) est susceptible de plus d'un signe. De plus, un même sens a dans des langues différentes, et parfois dans la même langue, plusieurs expressions. De plus un même sens a dans les langues différentes, et parfois dans la même langue, plusieurs expressions. ...Dans un système de signes parfait, un sens déterminé devrait correspondre à chaque expression. Mais les langues vulgaires sont loin de satisfaire à cette exigence et l'on doit s'estimer heureux si dans le même texte, le même mot a toujours le même sens.

Le seul et même objet peut, alors, avoir plusieurs sens et il peut se trouver exprimé de multiples façons, mais il n'est pas nécessaire pour autant que tout sens ait une dénotation. Il arrive très souvent qu'on conçoive un sens sans avoir avec certitude une référence. Frege nous offre l'exemple des mots "le corps céleste le plus éloigné de la terre". Ces mots ont un sens, mais il est douteux qu'ils aient une dénotation. Dans le langage ordinaire (ou dans la littérature) il nous suffit que tout mot ou toute suite de mots ait un sens, mais Frege insiste sur le fait que la recherche de la vérité et la rigueur scientifique nous poussent du sens vers la dénotation. L'homme de science ne peut pas se contenter du sens.

C'est là un thème essentiel de la pensée de Frege, et il le reprend à plusieurs reprises. Son article "Ausführungen über Sinn und Bedeutung" en particulier est parsemé d'exhortations de ce genre. Dans cet article il nous fait savoir que:

In der Dichtung haben die Wörter freilich nur einen Sinn, aber in der Wissenschaft und überall, wo uns die Frage nach der Wahrheit beschäftig, wollen wir uns nicht mit dem Sinne begnügen, sondern auch ein Bedeutung mit den Eigennamen und Begriffswörtern verbinden; und wenn wir es etwa aus Versehen doch nicht tun, so ist das ein Fehler, der leicht unser Nachdenken zuschanden machen kann.

Il ne néglige pas dans sa correspondance avec Husserl (la lettre du 24 mai 1891), de rappeler à son correspondant que

Ein Begriffswort, dessen Begriff leer wäre, müsste dann in der Wissenschaft ebenso verworfen werden, wie ein Eigenname, dem kein Gegenstand entspräche.

et que

Für den dicterischen Gebrauch genügt es dass alles einen Sinn habe, für den wissenschaftlichen dürfen auch die Bedeutungen nicht fehlen.

Dans les Ausführungen citées ci-dessus Frege critique Husserl sur ce point. Il écrit:

Husserl sagt "Offenbar vermengt er (Schröder) hier zwei verschiedene Frage, nämlich l) ob einem Namen eine Bedeutung (ein "Sinn") zukomme; und 2) ob einem Namen entsprechend ein Gegenstand existiere oder nicht".

Diese Unterscheidung genügt nicht. Das Wort 'Gemeinname' verleitet zu der Annahme dass der Gemeinname sich im wesentlichen ebenso auf Gegenstände beziehe wie der Eigenname, nur dass dieser nur einen einzigen benennt, während jener im allgemeinen auf mehre anwendbar ist. Aber das ist falsch; und darum sage ich statt 'Gemeinname' lieber 'Begriffswort'. Der Eigenname muss wenigstens einen Sinn haben (wie ich das Wort gebrauche); sonst wäre er eine leere folge von Schällen und mit Unrecht Name zu nennen. Für den wissenschaftlichen Gebrauch muss aber vom ihm verlangt werden, dass er auch ein Bedeutung habe; dass er einen Gegenstand bezeichne oder benenne. So bezieht sich der Eigenname durch Vermittlung des Sinnes und nur durch diese auf den Gegenstand.

 

Le sens et la dénotation de l'énoncé affirmatif pris comme un tout

En quête des lois de l'être vrai, Frege se mit à réfléchir sur le langage en tant que porteur de vérité. Il passe, donc, de l'étude des noms propres à l'examen des énoncés (Sätze) affirmatifs pris comme un tout. S'intéressant uniquement à l'aspect cognitif du langage, il examina seulement ces énoncés ou l'on communique ou affirme quelque chose, "Car la science rigoureuse vise à la vérité et à la vérité seule. Aucun, donc, des éléments d'une proposition (énoncé) sur lesquels la force affirmative n'a aucune prise n'appartient à l'exposé scientifique."

Pour Frege chaque énoncé exprime une pensée (Gedanke). La pensée est ce dont on peut se demander s'il est vrai ou faux. Mais, Frege veut savoir, cette pensée est-elle le sens ou la dénotation de l'énoncé. "Admettons", il écrit,

que la proposition (énoncé) ait une dénotation. Si on y remplace un mot par un autre mot qui a la même dénotation bien qu'ayant un sens différent, ceci ne peut avoir aucune influence sur la dénotation de la proposition (énoncé). Mais on constate que la pensée subit une modification, car la pensée contenue dans la proposition (énoncé): 'l'étoile du matin est un corps illuminé par le soleil' est différente de la pensée contenue dans l'étoile du soir est un corps illuminé par le soleil'. Si quelqu'un ignorait que l'étoile du soir est l'étoile du matin, il pourrait tenir l'une de ces pensées pour vraie et l'autre pour fausse. La pensée ne peut donc pas être la dénotation de la proposition (énoncé).

La pensée est, donc, le sens de l'énoncé. Faut-il, alors, chercher la dénotation ? Frege pour sa part répond que celui qui cherche la vérité ne peut pas se contenter du sens. Il lui faut chercher la dénotation.

Frege analyse de plus près le cas d'expressions sans dénotation directe. Pour Frege l'énoncé 'Ulysse fut déposé sur le sol d'Ithaque dans un profond sommeil' a un sens, mais il est douteux que le nom d'Ulysse ait une dénotation et de ce fait que l'énoncé entier en ait une. Mais celui qui prend sérieusement cet énoncé pour un énoncé vrai ou faux, attribue une référence au nom d'Ulysse. On ne peut ni affirmer ni nier un prédicat d'un nom qui soit dépourvu d'une référence. La vérité ou la fausseté d'un énoncé est fonction, donc, de sa dénotation et on est conduit à identifier la valeur de vérité d'un énoncé avec sa dénotation.

"La pensée", Frege nous informe,

n'a plus pour nous la même valeur dès que l'une de ses parties se révèle privée de dénotation. Il est donc légitime de ne pas se contenter du sens d'une proposition (énoncé), et d'en chercher en outre la dénotation. Mais pourquoi voulons-nous que tout nom propre ait une dénotation en plus d'un sens. Pourquoi la pensée ne nous suffit-elle pas? C'est dans l'exacte mesure où nous importe sa valeur de vérité. Et tel n'est pas toujours le cas. Si l'on écoute une épopée, outre les belles sonorités de la langue, seuls le sens des propositions et les représentations ou sentiments que ce sens éveille tiennent l'attention captive. A vouloir en chercher la vérité, on délaisserait le plaisir artistique pour l'examen scientifique. De là vient qu'il importe peu de savoir si le nom d'Ulysse, par exemple, a une dénotation, aussi longtemps que nous recevons le poème comme une œuvre d'art. C'est donc la recherche et le désir de la vérité qui nous poussent à passer du sens à la dénotation.

Si l'on identifie ainsi la valeur de vérité d'un énoncé avec sa dénotation, celle-là doit rester la même lorsqu'on substitue à une partie de l'énoncé une expression ayant la même référence, quoi que de sens différent. A quelques exceptions près, il en va ainsi.

Or, on a vu que ce sont ces exceptions à la loi de Leibniz qui nous occupent. Frege examina de près le champ d'énoncés réfractaires aux principes de la logique extentionnelle telle qu'il la concevait; nous considérerons les cas ayant trait aux objectifs de ce travail.

Ces expressions que nous avons désignées 'expressions intentionnelles' se rangent, suivant Frege, parmi les énoncés nominaux abstraits introduits par 'que'. Ces expressions n'ont pas de dénotation directe; elles ont une dénotation indirecte. Cette dénotation indirecte coïncide avec leur sens. La vérité ou la fausseté de la subordonnée est sans importance pour la vérité de l'ensemble. Frege nous offre l'exemple suivant:

Les deux propositions (énoncés) "Copernic croyait que les orbites étaient des cercles" et "Copernic croyait que le mouvement apparent du soleil était produit par le mouvement réel de la terre". On peut substituer une subordonnée à l'autre sans nuire à la vérité. La principale et la subordonnée prises ensemble ont pour sens une unique pensée et la vérité du tout n'implique ni la vérité ni la fausseté de la subordonnée. Dans de tels exemples il n'est pas permis de remplacer une expression figurant dans la subordonnée par une autre ayant même dénotation habituelle ; on peut seulement lui substituer une expression ayant même dénotation indirecte, c'est à dire le même sens habituel.… La seule conclusion légitime est que la dénotation d'une proposition (énoncé) n'est pas toujours sa valeur de vérité et que "étoile du matin" ne dénote pas toujours la planète Vénus, précisément lorsque ces mots ont une dénotation indirecte.

Pour Frege, donc, dans le discours intentionnel, l'attitude propositionnelle s'unit avec la subordonnée pour former un tout qui ne dépend pas de la vérité ou de la fausseté (donc dénotation) de la subordonnée. Nous renvoyant à la considération d'entités médiatrices, les sens de tels énoncés n'admettent pas de traitement purement référentiel.

Un second cas nous intéresse. C'est le cas des combinaisons de signes qui semblent désigner quelque chose mais qui sont, à vrai dire, sans référence.

Ce défaut relève de l'imperfection du langage et l'analyse mathématique n'en est pas entièrement libérée. "On exigera d'un langage logiquement parfaite", estime Frege,

que toute expression construite comme un nom propre, au moyen des signes précédemment introduits et de manière grammaticalement correcte, désigne réellement un objet, et qu'aucun signe nouveau ne soit introduit à titre de nom propre sans qu'on se soit assuré de sa dénotation. Les logiciens se méfient de l'ambiguïté des expressions en tant qu'elle est source de fautes logiques. Il est à mon sens tout aussi opportun de se méfier des pseudo-noms propres qui sont dépourvus de dénotation. L'histoire des mathématiques a gardé le souvenir de plusieurs erreurs dues à ces faux-semblants.… Il n'est donc pas sans intérêt de vouloir au moins pour la science, tarir une fois pour toutes la source de ces erreurs.

Frege, donc, adhéra à une conception purement référentielle de la vérité, et il réussit à montrer comment une partie importante du langage peut être jugée vraie ou fausse. Il ne pouvait pas, pour autant, expliquer en termes uniquement référentiels, ni les propositions qui (dans sa théorie sémantique) ne sont ni vraies, ni fausses (les expressions intentionnelles se rangeant ici), ni les noms propres sans référence. C'était à ses successeurs, Bertrand Russell et, surtout Ludwig Wittgenstein qu'incomba la tâche de pousser plus loin ces efforts.

 

 

HUSSERL

 

Edmund Husserl: la science d'intentionnalité

La pensée de Brentano trouva un accueil plus chaleureux ailleurs, et, (malgré les déclarations erronées, mais influentes de B. Russell). Frege avait d'autres lecteurs attentifs. Edmund Husserl élabora et modifia la notion d'intentionnalité de son maître, Brentano, et dans ses mains celle-ci devint l'idée directrice de la nouvelle science de la phénoménologie. Mais Husserl fut mathématicien de formation et, comme son contemporain Frege, s'intéressait aux fondements de l'arithmétique. Sous l'influence de Brentano, Husserl se détourna de ses études mathématiques et s'adonna à des recherches philosophiques, mais sa première œuvre (1891-1913) porte l'empreinte du mathématicien qui, concerné par des questions relatives aux fondements de l'arithmétique, connaissait intimement le travail de ses contemporains dans ce domaine.

De ce fait il n'est pas surprenant de trouver que, au début de sa carrière, et avant que sa pensée ne soit trop excessivement radicalisée, Husserl adopta et employa certains concepts dérivant d'une tradition philosophique dont Frege et lui étaient tous deux héritiers. Bien qu'il soit évident que Husserl ne s'appliquât pas à élaborer une sémantique susceptible de faire disparaître les problèmes posés par les expressions intentionnelles, son acceptation et son assimilation d'une variation des notions formant la base de la sémantique anglo-saxonne a suscité l'intérêt de certains philosophes anglo-saxons. Ceux-ci estiment que Husserl sut faire valoir ces notions d'une façon qui peut éclaircir les problèmes d'ordre purement logique soulevés par les expressions intentionnelles, et que ceci, à son tour, pourrait éventuellement nous éclairer sur le phénomène (prétendu ou non) d'intentionnalité même.

Il va sans dire que la pensée de Husserl est d'une telle complexité qu'elle résiste bien aux efforts de ceux qui la résumeraient succinctement. Ici, donc, nous limitons notre discussion à la considération des thèmes chez Husserl qui, ces dernières années, ont été jugés avoir un intérêt pour la théorie sémantique anglo-saxonne.

 

Rejet du psychologisme

L'élaboration par Husserl des notions concernées fut solidaire de son refus du psychologisme, et coïncida ainsi avec la venue au monde de la phénoménologie. Dans la Philosophie der Arithmetik (1891) Husserl écrivit:

Du reste il résulte de nos analyses avec une incontestable clarté que les concepts de quantité et d'unité reposent immédiatement sur des données psychiques.... Le but que Frege se fixe doit, donc, être appelé chimérique. Il n'y a par conséquent rien d'étonnant non plus à ce que, malgré sa pénétration, son ouvrage s'égare dans les hypersubtilités stériles et s'achève sans résultat positif.

En 1900, il préfaça ses Recherches Logiques avec une 'critique sans réserve vis-à-vis de la logique et de la théorie de connaissance psychologistes'.

Sa nouvelle position s'articule ainsi: "Dans la logique, ce que nous voulons savoir n'est pas comment l'entendement est, comment il pense, comment il a procédé jusqu'ici pour penser, mais bien comment il devrait procéder dans la pensée." La logique n'est pas la science descriptive des opérations de l'esprit; elle est la science normative, la science des sciences, la théorie des sciences. Il existe des différences décisives et fondamentales entre les objets réels et les objets idéaux, entre les enchaînements naturels et les enchaînements idéaux, entre les lois réelles et celles qui reposent sur l'idéalité. Et, "ce dont il s'agit, c'est de savoir ce que sont les éléments idéaux et les lois idéales qui fondent la validité objective du réel (et plus généralement de la connaissance en générale), et comment cette opération doit être authentiquement comprise."

 

Réflexions sur le langage

L'analyse du langage, estime Husserl, est la condition préalable indispensable de ses recherches. La vérité et la théorie sont transmises et deviennent 'la propriété permanente de la science' seulement au moyen du langage, et "les objets vers lesquels s'oriente la recherche de la logique pure sont donnés tout d'abord sous le vêtement grammatical". Ces objets "sont donnés comme enrobés... dans des vécus psychiques concrets, qui dans leur fonction d'intention de signification ou de remplissement de signification, relèvent de certaines expressions linguistiques et forment avec elles une unité phénoménologique".

Husserl examine à fond cette thèse. Au premier abord, il réfléchit sur les expressions dans leur fonction de communication. Le complexe phonique articulé, devient discours communicatif lorsque le locuteur

lui confère un sens qu'il veut communiquer à celui avec lequel il parle. La communication devient possible lorsque l'autre comprend l'intention de celui que l'engage en conversation. L'essentiel est que l'auditeur s'aperçoit qu'on n'émet pas de simples sons mais qu'on lui parle et qu'on effectue en même temps certains actes signifiants dans le but de communiquer un sens. Ce qui rend possible l'échange spirituel, et fait du discours communicatif un discours réside dans cette corrélation médiatisée par la face physique de discours, entre les vécus physiques et psychiques s'appartenant mutuellement, des personnes en relation réciproque.

Le phénomène physique sonore sert à éveiller les actes qui donnent la signification, actes en vertu desquels celui-ci devient plus qu'indice; il devient expression.

 

Expression, objet, signification

Cependant, ce ne sont pas ces vécus fugitifs de la croyance ou de l'énonciation qui font l'objet des recherches de Husserl, mais le contenu idéal des expressions concernées, c'est à dire ce qui reste identiquement le même quelle que soit la personne qui l'énonce et quels que soient les circonstances ou les moments où elle le fait. Il faut passer du plan subjectif au plan objectif.

Afin de purger sa pensée de psychologisme et de purifier les moyens d'expression pour dégager la voie de la phénoménologie, Husserl traça et élabora certaines distinctions. Ces distinctions il les a prises au jargon philosophique et psychologique de l'époque.

L'expression, nous avons vu, se distingue des autres signes du fait qu'elle a une signification. Cette expression animée d'un sens est composée selon Husserl, d'une part, du phénomène physique, et d'autre part, des actes donateurs de sens, et, éventuellement, 'sa plénitude intuitive où se constitue sa référence à une objectivité exprimée.'

"Toute expression", écrivit Husserl,

non seulement énonce quelque chose, mais énonce encore sur quelque chose ; elle n'a pas seulement sa signification mais elle se rapporte aussi à des objets quels qu'ils soient. Ce rapport peut être éventuellement multiple pour une seule et même expression. Mais jamais l'objet ne coïncide avec la signification. Naturellement l'un et l'autre n'appartiennent à l'expression qu'en vertu des actes psychiques donateurs de sens; et quand, en ce qui concerne ces "représentations", on distingue entre "contenu" et "objet", on veut dire par là la même chose que lorsqu'on distingue, en ce qui concerne l'expression entre ce qu'elle signifie ou 'énonce' et ce sur quoi elle dit quelque chose.

Toute expression, donc, a un sens et ce sens est distinct de la référence de l'expression. La nécessité de distinguer la référence de l'expression de son sens devient claire lorsqu'on réfléchit sur les rapports multiples éventuels qui peuvent exister entre le sens, la référence et l'expression. Deux expressions peuvent avoir des sens différents, tout en se référant au même objet (exemple: "l'étoile du matin", et "l'étoile du soir" de Frege). Inversement, deux expressions peuvent avoir le même sens, mais des références différentes. Husserl nous offre l'exemple des noms universels. L'expression "un cheval" a, dans quelque contexte qu'on la trouve, le même sens, mais un changement peut se produire dans la représentation donatrice de sens lorsqu'on passe d'un contexte à un autre. Dans les expressions "Bucéphale est un cheval" et "cette haridelle est un cheval", le sens de "un cheval" ne varie pas, mais le rapport à l'objet s'est modifié.

Les expressions tautologiques ("London", "Londres", "zwei", "duo", "deux" etc.) concordent sur les deux plans. C'est à dire elles ont le même sens et elles nomment le même objet. Mais le rapport à une objectité donnée actuellement qui remplit son intention de signification n'est pas essentiel à l'expression. Ce cas important, Husserl l'examine de près.

En vertu des actes de signification, l'expression est plus qu'un simple signe sonore ; elle vise quelque chose. Cette référence à une objectité est remplie lorsque l'objet nous apparaît "actuellement présent en vertu des intuitions qui l'accompagnent, ou du moins présentifié (par exemple dans l'imaginaire)". Mais l'intention de signification pourrait aussi bien être vide. L'expression peut "exercer sa fonction en ayant un sens, elle reste toujours plus qu'un flatus vocis, bien qu'elle soit dépourvue de l'intuition qui la fonde et lui donne son objet". "Le nom", explique Husserl, "nomme en toutes circonstances son objet, à savoir en tant qu'il le vise. Mais il ne s'agit pas d'autre chose que de la simple visée quand l'objet n'est pas présent intuitivement".

Par conséquent il faut distinguer les actes de signification des actes 'qui ne sont sans doute essentiels à l'expression', à savoir les actes remplissant la signification. Ces actes sont dans un rapport logique fondamental l'un avec l'autre. Ils coïncident, se recouvrent, fusionnent de manière qu'on est facilement enclin à croire que l'expression parvient à acquérir la signification en vertu de l'acte remplissant lui-même. Il existe chez certains la tendance à considérer les intuitions remplissantes comme étant les significations. C'est une opinion erronée. "Il n'arrive pas toujours... que le remplissement soit complet. Les expressions sont souvent accompagnées d'intuitions fort éloignées ou qui ne les illustrent que partiellement si tant est même qu'il y en ait".

Husserl continue son exposé sur les rapports éventuels existant entre les expressions, les sens, et les objets auxquels ils ont à faire et il discute à propos des confusions qui surgissent lorsqu'on se méprend sur les véritables rapports entre ces concepts. Il nous informe que pour lui, la signification est synonyme de sens. Il est agréable, estime-t-il, d'avoir à sa disposition des termes qui soient interchangeables. "Mais", il écrit:

il est une autre chose dont on doit bien plutôt tenir compte, c'est l'habitude solidement enracinée d'employer les deux mots comme synonymes. En raison de cette circonstance, on voit qu'il n'est pas sans risque de différencier leurs significations et (comme, par exemple, G. Frege a proposé) d'employer l'un des termes pour la signification telle que nous l'entendons et l'autre pour les objets exprimés.

De surcroît, il nous avertit des confusions provenant du fait que, souvent quand on entend parler de significations, ce sont les objets qui sont visés sous ce terme. Employer une expression avec sens et se rapporter par une expression à l'objet (se représenter l'objet) est, pour lui, la seule et même chose. Mais, nous avons vu, il n'est jamais question de savoir si l'objet existe ou s'il est fictif, voire même impossible. Ceux qui confondent l'objet visé et la signification au moyen de laquelle le rapport à l'objet se constitue, sont dans l'erreur. Cette idée trompeuse ne se tient pas; elle est issue de la confusion avec le concept authentique de signification.

Si on identifie la signification avec l'objet de l'expression, estime Husserl, les noms sans objet, comme la montagne d'or ou le cercle carré sont dépourvus de sens. Ce faisant on confond le défaut de l'objet (Gegenstandlosigkeit) et l'absence de signification (Bedeutunglosigkeit) et on est par conséquent, obligé de juger comme étant dépourvues de sens "l'infinité d'expressions dont les mathématiques établissent par des démonstrations indirectes et compliquées qu'elles sont a priori sans objet".

On doit aussi "nier que des concepts tels décaèdre régulier etc. soient même des concepts". Les logiciens qui se trompent ainsi:

confondent la vraie absence de signification désignée... avec une chose toute différente, qui est l'impossibilité a priori d'un sens remplissant. Une expression a, par conséquent, dans ce sens, une signification quand un remplissement possible, en d'autres termes la possibilité d'une illustration intuitive formant une unité, correspond à son intention. Cette possibilité est manifestement visée comme étant idéale; elle ne concerne pas les actes occasionnels de l'expression, ni les actes occasionnels de remplissement, mais leurs contenus idéaux: la signification en tant qu'unité idéale (qui doit être qualifiée ici de signification intentionnelle) et la signification remplissante qui lui est, sous un certain rapport, rigoureusement adéquate. Ce rapport idéal est appréhendé par une abstraction idéatrice en vertu d'un acte qui constitue l'unité de remplissement. Dans le cas contraire nous appréhendons l'impossibilité idéale du remplissement de signification en vertu du vécu de l'"incompatibilité'' des significations partielles dans l'unité de remplissement intentionnée.

L'essence de l'acte d'exprimer, donc, ne se trouve pas dans les "figurations plus ou moins parfaites, proches ou éloignées qui peuvent s'associer à cette intention en la remplissant;" elle réside plutôt dans l'intention de signification. Dès que ces figurations sont données, elles fusionnent avec l'intention de signification de telle manière que "dans son unité le vécu de l'expression exerce sa fonction conformément au sens. Si on l'observe dans les divers cas où il se présente, il témoigne, même au point de vue de la signification, de différences psychologiques considérables tandis que, cependant, sa signification demeure identiquement la même". Cette identité de signification correspond à quelque chose de déterminé qui réside dans les actes concernés. Des intentions de signification différentes se rapportent à des significations différentes, ou à des expressions ayant des significations différentes tandis que toute expression comprise avec ce même sens est caractérisée par la même intention de signification. La signification se présente comme "une unité intentionnelle qui reste identique par opposition à la multiplicité dispersée de vécus réels ou possibles de sujets parlants et pensants."

"Quand nous", nous informe Husserl,

ou n'importe quelle autre personne, répétons la même proposition avec la même intention, chacun a ses phénomènes, ses mots, ses moments de compréhension. Mais en regard de cette multiplicité illimitée de vécus individuels, ce qui est exprimé en eux est partout quelque chose d'identique, le même au sens le plus strict du mot. La signification de la proposition n'est pas multipliée avec le nombre des personnes et des actes, le jugement au sens idéal est un.

Ces significations dont il est question forment une classe de concepts au sens d'objets généraux. Mais Husserl ne veut pas dire par cela qu'il s'agisse d'objets existants vraiment dans le monde ou dans l'esprit de Dieu. Une telle hypostase, Husserl la juge absurde.

 

Les expressions objectives vs. les expressions essentiellement subjectives

Toute théorie scientifique exposée d'une manière adéquate trouve son expression en expressions objectives. D'elles font partie "toutes les expressions théoriques, par conséquent celles sur lesquelles s'édifient les principes et les théorèmes, les démonstrations et les théories des sciences 'abstraites'".

L'expression objective "dépend ou peut dépendre simplement de sa teneur de phénomène phonétique, et par suite, elle peut être comprise sans qu'on ait besoin de prendre en considération la personne qui s'exprime ni les circonstances dans lesquelles elle s'exprime". En cela elles se distinguent des expressions du langage ordinaire qui sert aux besoins pratiques de la vie quotidienne. Ces expressions se classent parmi les expressions essentiellement subjectives, occasionnelles et vagues qui varient quant à leur signification et qui n'ont aucune place dans le discours proprement scientifique.

Les expressions que nous avons désignées "intentionnelles" se rangent parmi les expressions occasionnelles. Husserl s'exprime sur cette question ainsi:

Quand quelqu'un exprime le désir: Un verre d'eau je vous prie, c'est là, pour l'auditeur, un indice du désir de celui qui parle. Mais ce désir est aussi conjointement l'objet de l'énoncé. Ce que l'on a manifesté et ce qu'on a nommé se recouvrent ici partiellement. Je dis "se recouvrent partiellement" car la manifestation s'étend visiblement plus loin. Le jugement qui s'exprime par les mots: je désire etc. en fait aussi partie. Il en est naturellement de même aussi des énoncés qui énoncent quelque chose sur des opérations de se représenter, de juger, de supposer de celui qui parle, et qui ont, par conséquent, la forme suivante : je m'imagine, je suis d'avis, je juge, je suppose, etc. que.

Ce caractère essentiellement occasionnel se transpose naturellement à toutes les formes du discours dans lesquelles celui qui parle exprime normalement quelque chose qui le concerne lui-même. Il en est ainsi de toutes les expressions de perceptions, de convictions, de doutes, de vœux, d'espérances, de craintes, d'ordres, etc.

Les énoncés introduits par de telles expressions sont dépourvus de sens objectif. Leur contenu reste entaché par le caractère fluctuant et subjectif qui leur est conféré par le pronom personnel et la référence aux vécus psychiques passagers. On ne peut pas détacher un contenu objectif de leur contenu subjectif. L'expression 'Je juge que 2 X 2 = 4' ne veut nullement dire la même chose que 2 X 2 = 4. La première peut être ou vraie, ou fausse ; la seconde est toujours vraie.

L'expression objective, par opposition à l'expression occasionnelle, communique quelque chose d'idéal qui reste le même dans de multiples vécus de pensées possibles. L'énoncé: les trois hauteurs d'un triangle se coupent en un seul point est

précisément la forme d'expression unique et spécialement appropriée à cet identique qui s'appelle sa signification. Dans cette signification identique on ne peut absolument rien découvrir d'un acte de juger ni d'une personne qui juge. L'état de choses lui même demeure ce qu'il est, que nous affirmions sa valeur ou non.

Pour Husserl, la règle de l'art de connaissance s'énonce ainsi:

Emploie les mots avec une signification absolument identique, exclus toute fluctuation des significations et veille à maintenir leur différentiation dans l'énoncé de la pensée par des signes sensibles nettement différenciés.

 

L'élargissement de l'horizon de recherche

Cette analyse du langage ouvrit pour Husserl la voie à des analyses et à des recherches plus vastes. Il sentit le besoin de dépasser la sphère proprement logique et de compléter ses recherches sur le langage par des recherches plus larges. Dans les dernières des Recherches Logiques et dans les ldeen Husserl, donc, s'appliqua à faire la description des vécus de conscience dans lesquels les idées de logique ont leur source. André Muralt commente cette progression ainsi:

Le langage est le lieu des significations, mais les significations sont des actes de signifier, et donc, sont comme des expressions d'un sens…. La logique des Recherches Logiques est une logique aussi bien du langage que de signification.... Il faut que la logique soit assez fine et aiguisée pour laisser dans l'ombre l'un des aspects de cette inextricable corrélation: en visant la signification comme telle, elle "vit" dans la signification sans opérer explicitement l'acte d'expression qui lui est essentiellement conjoint. Ainsi la logique atteint au monde purement eidétique des significations et retrouve son domaine propre. Ou plus exactement au monde purement eidétique des sens purs, purs puisque notre attitude actuelle nous force à nous distancer de la couche "expressive" à laquelle appartient à proprement parler la signification.

La phénoménologie sera, donc, la science de sens, et les recherches proprement phénoménologiques auront pour objet l'étude de l'ensemble des actes intentionnels qui donnent et remplissent la signification, l'étude de la conscience, ou bien le vécu de conscience en général.

A première vue on dirait qu'il s'agit d'un retour au psychologisme. Mais Husserl l'envisagea autrement. "Objectera-t-on", écrit-il, "en présence de notre argumentation que notre position revient à transformer le monde entier en une illusion subjective et qu'on se jette dans un idéalisme berkeleyan".

De telles objections seraient, d'après lui, sans fondement, et ceux qui les formuleraient auraient oublié que "le monde lui-même a son être complet sous la forme d'un certain 'sens' qui présuppose la conscience absolue à titre du champ pour la donation de sens" et que "ce champ, ce royaume ontologique des origines absolues est accessible à une investigation intuitive et qu'il prête à une infinité d'évidences de la plus haute dignité scientifique."

La nouvelle science de Husserl veut être une théorie descriptive de l'essence des vécus transcendentalement purs. Science eidétique, elle n'est pas en rapport immédiat avec le monde réel du sens commun; elle évite l'empirisme en déviant du contact naïf avec le monde naturel pour atteindre au monde phénoménologique, une région jusqu'a maintenant inconnue et à peine soupçonnée.

Pour pénétrer dans le monde des sens Husserl exige qu'on "mette entre parenthèses" tout ce qui nous est donné dans l'attitude naturelle. Cette "mise hors circuit" du monde naturel (l'époché transcendantale), en combinaison avec les réductions phénoménologiques, est l'opération nécessaire qui nous donne accès de la conscience pure et, ultérieurement de toute la région phénoménologique. Husserl décrit cette opération ainsi:

Il est maintenant clair qu'en fait, à l'opposé de l'attitude théorique naturelle dont le monde est le corrélat, une nouvelle attitude doit être possible qui, alors même que la nature physique toute entière a été mise hors circuit, laisse subsister quelque chose, à savoir tout le champ de la conscience absolue. Au lieu donc de vivre naïvement dans l'expérience et de soumettre l'ordre empirique, la nature transcendante, à une recherche théorique, opérons la "réduction phénoménologique"... nous dirigeons notre regard de façon à pouvoir saisir et étudier théoriquement la conscience pure dans son être propre absolu. C'est donc elle qui demeure comme le "résidu phénoménologique" cherché; elle demeure, bien que nous ayons "mis hors circuit" le monde tout entier, avec toutes les choses, les êtres vivants, les hommes y compris nous mêmes. Nous n'avons proprement rien perdu, mais gagné la totalité de l'être absolu, lequel, si on l'entend correctement, recèle en soi toutes les transcendances du monde, les "constitue" en son sein.

Ainsi suspendus par l'époché, les objets de nos actes mentaux sont réduits à leur sens purs, à leurs pures essences.

Cette réduction du monde naturel à l'absolu de la conscience ouvrit pour Husserl un champ complexe et immense de problèmes que nous essayerions en vain de développer à fond ici. Nous nous bornerons nécessairement à l'examen de ces structures de la conscience qui auraient, pour certains, un rapport important avec la sémantique de Frege, et, donc, auraient un intérêt pour les héritiers de Frege se trouvant aux prises avec des problèmes entourant la distinction entre sens et référence.

La méthode de Husserl lui révéla le rôle dominant joué par la dualité et l'unité 'remarquables' de la sensuelle (hyle) et l'intentionnelle (morphé). "Le flux de l'être phénoménologique", il trouve, "a une couche matérielle et une couche noétique." Il examine de près leur interdépendance.

L'intentionnalité est à double face. Aux multiples data qui composent la phase noétique, correspond une multiplicité de data susceptibles d'être exhibés dans l'intuition véritablement pure.

Les contenus de sensation (les data de couleur, les data de toucher, les data de son etc.) rentrent comme composantes dans un nombre beaucoup plus vaste encore de vécus concrets qui, considérés comme totalités sont intentionnels, en ce sens que par delà ces moments sensuels on rencontre une couche qui pour ainsi dire les "anime", leur donne un sens (ou qui implique essentiellement une donation de sens); c'est par le moyen de cette couche (les noèses), et à partir de l'élément sensuel qui en soi n'a rien d'intentionnel que se réalise précisément le vécu intentionnel concret.

Les noèses animent la couche hylétique et se combinent en systèmes continus et en synthèses unificatrices du divers pour instituer la conscience de quelque chose. Ces noèses sont en corrélation inextricable avec les noèmes et c'est précisément cette corrélation qui leur permet d'accomplir leur tâche.

La conscience vise quelque chose. Cette chose demeure toujours transcendante et "autre". L'époché nous a permis de mettre entre parenthèse cette chose, de fixer son sens noématique et de distinguer ce dernier de l'objet pur et simple. La chose a été mise hors circuit par l'époché mais il nous est resté l'objet "en tant que visé", purifié de tout caractère mondain. Cette partie de la réalité qui reste là pour la conscience est ce que Husserl appelle le noème. C'est au moyen de ces noèmes que la réalité accède à la conscience et y est donnée de manière spéciale.

Il faut considérer le noème selon sa diversité, mais aussi sans sa capacité unificatrice. Le noème complet est composé de deux éléments: l) le noyau noématique, c'est à dire le sens noématique; 2) les diverses qualités qui affectent et diversifient le noème. Ces deux plans sont indissociables l'un de l'autre.

La multiplicité inhérente au noème provient de la diversité de ses éléments variables et secondaires. Le noème se donne toujours avec telle ou telle qualité. L'objet se présente à la conscience sous divers modes et le noème diffère selon que l'objet est perçu, souvenu, imaginé etc. Chacun de ces actes noétiques de perception, de mémoire, d'imagination a son corrélat thétique au sein du noème.

Le noème diffère selon qu'il est perçu, imaginé, souvenu etc. mais cela ne change pas, pour autant, le contenu significatif du noème. Ces éléments variables du noème font partie du sens du noème. Les divers caractères d'être n'affectent pas intrinsèquement le sens qui représente une certaine multiplicité de déterminations objectives unifiées par une référence intentionnelle à un objet. Le sens noématique est l'élément permanent du noème. C'est le sens qui manifeste l'objet et le réalise progressivement dans le mesure ou l'expérience permet à la connaissance de l'objet de se parfaire.

Le sens noématique s'intercale entre le noème et l'objet. L'objet assure l'objectivité du noème et de son sens en même temps que l'unité de leurs multiples déterminations. L'objet rend effective l'intentionnalité de la conscience car il est son corrélat, son centre d'unité, son point de référence. Il n'y qu'un seul objet en train de se réaliser dans et par des divers sens noématiques.

 

 

HINTIKKA

 

J. Hintikka: La sémantique des mondes possibles est la logique d'intentionnalité

Les trois thèmes de philosophie comparée dont l'étude est l'objet de ce travail se trouvent réunis dans les écrits de J. Hintikka. Dans une série d'articles, publiée entre 1968 et 1975, Hintikka propose une solution éventuelle aux problèmes posés par la logique des expressions intentionnelles, solution qu'il rattache explicitement à la pensée de Husserl et Frege.

La sémantique traditionnelle dépendait de la distinction intension/extension postulée par Frege (Sinn/Bedeutung). De nos jours plusieurs estiment que l'âge d'or de la sémantique de Frege trouva son achèvement dans Meaning and Necessity (1947) de Carnap. Depuis les années cinquante la distinction intension/extension se trouve de plus en plus remise en cause. Quine, on le sait, rejette nettement la notion d'intension au nom de l'empirisme scientifique. J. Hintikka, cependant, nous offre une alternative ingénieuse. Il cherche à abolir la distinction intension/extension en alléguant que les intensions peuvent s'expliquer totalement en termes d'extension, en termes de référence. Pour lui les intensions nous renvoient nécessairement à la considération de références multiples, et de ce fait, la considération de "mondes possibles".

Cette notion clé de la sémantique de Hintikka trouve sa source dans Meaning and Necessity de Carnap. D'après Hintikka, "Carnap was not the last Mohican of Fregean semantics, based on the extension-intension contrast, but rather the first and foremost herald of a new epoch of possible world semantics". Hintikka élabore la sémantique des mondes possibles qu'il trouve déjà naissante chez Carnap et il explore les applications, les nouvelles frontières, non-envisagées par Carnap qu'ouvre ce nouvel outil conceptuel.

En deux articles, "The Logic of Perception" et "Semantics for Propositional Attitudes", qui datent respectivement de 1967 et de 1968, Hintikka explore deux "nouvelles frontières" relatives à nos préoccupations: la logique de la perception et la logique des attitudes propositionnelles. Dans ces articles Hintikka expose les concepts de base de la sémantique des mondes possibles et l'affinité entre la logique de la perception et la logique des attitudes propositionnelles, et il démontre les ressources de la logique des mondes possibles confrontée aux problèmes rencontrés dans les deux domaines.

Il va sans dire que le concept le plus fondamental qu'expose Hintikka est la notion même des mondes possibles. Le lecteur non-initié s'est peut-être arrêté devant cette mention de mondes possibles qui suggère un retour à Leibniz ou un engagement ontologique problématique et même dégoutant. Or, Hintikka explique soigneusement que la notion de mondes possibles est un outil idéologique apparenté aux descriptions d'état de Carnap qui ne nous engage nullement ontologiquement. Il s'agit simplement de prendre en considération des états de choses, des cours d'évènements alternatifs, mais réellement possibles, qui sont déjà sous-entendus lorsque nous utilisons des notions modales dans nos conversations ordinaires. Mais Hintikka ne veut pas dire par cela que nous faisons directement appel à des entités aussi curieuses que des mondes possibles dans notre discours quotidien. Il écrit:

I am of course not suggesting that the ordinary people who daily use such words as 'sees' or 'hears' or 'possible' or 'necessary' are ever interested in anything as fancy as 'possible worlds' or 'possible states of affairs'. Surely what they are interested in is just the unique world of ours that happens to be actualized. The point is, rather, that many of the things we all say daily about this actual world of ours can be explicated by a logician in terms of his possible worlds. A logician might say that we often succeed in saying something only by locating it, as it were, on the map of all the different possible worlds.

Les mondes possibles de Hintikka n'offrent, donc, qu'une faible ressemblance avec ceux de Leibniz. Chez Hintikka il s'agit de tenir compte du choix de possibilités qui se présente lorsqu'on réfléchit sur des vérités logiques et ontologiques, tandis que chez Leibniz il est question de la connaissance de faits considérés dans le cadre d'un état de choses donné.

La sémantique de mondes possibles, en tant qu'elle est plus opérationnelle et plus informative, se montre supérieure au calcul du premier ordre qui s'occupe uniquement du monde actualisé. Les confusions soulevées par les notions modales sont rendues conceptuellement plus claires par le recours idéologique aux mondes possibles. De même que les notions de nécessité et de possibilité se trouvent clarifiées par le recours aux mondes possibles (nécessaire: vrai dans tous les mondes possibles; possible: vrai dans au moins un monde), le recours aux mondes possibles, allègue Hintikka, peut éclairer les problèmes posés par les théories traditionnelles de la perception et la logique des expressions intentionnelles.

Selon Hintikka la particularité de l'emploi des attitudes intentionnelles est précisément le fait que, en les utilisant, nous considérons toujours plus qu'une seule possibilité concernant le monde. Cette considération de mondes possibles alternatifs est ce qui caractérise l'attitude propositionnelle comme telle."A concept is intentional", écrit Hintikka,

if and only if it involves a simultaneous consideration of several possible states of affairs or courses of events, in brief involves the consideration of several 'possible worlds' to use this metaphysically loaded term. In other words, possible-world semantics is the logic of intentionality, and intentional is what calls for possible-world semantics.

L'hypothèse de base de Hintikka pourrait, donc, s'articuler ainsi: l'attribution d'une attitude propositionnelle à une personne suppose qu'on a divisé tous les mondes possibles en ceux qui sont compatibles avec l'attitude propositionnelle et ceux qui ne le sont pas. Hintikka nous offre les exemples suivants:

l) a croit que p se traduit par: dans tous les mondes possibles compatibles avec ce que a croit, l'énoncé "p" est vrai;

2) a ne croit pas que p (ce n'est pas le cas que a croit p) signifie: il y a un monde possible compatible avec ce que a croit tel que "non-p" est vrai.

Un tel remaniement élimine la nécessité de recourir à des entités abstraites et insaisissables pour rendre compte des contextes intensionnels. Les Sinne de Frege ne sont plus des entités suspectes ; Hintikka les a dé-hypostasiés. Ils jouent maintenant le rôle de fonctions qui déterminent la référence. Selon Hintikka:

the true idea is that the Sinn is itself the function…. It includes, Frege said, without following up the consequences of his statement, besides the reference also the way in which this reference is given. And of course all such talk of 'ways of being given' must in the last analysis be understood functionally. Meanings of expressions and meanings of acts are simply the functions which determine their references or objects respectively.... Concepts, as meanings, are according to possible-world semantic functions from possible worlds to references (extensions). This is their logical type, and it is of course literally worlds apart from the logical status of individuals ('entities').

Ainsi, donc, dans la sémantique de Hintikka, la distinction embarrassante entre intension et extension disparait.

Puisque le recours aux mondes possibles dépasse la force d'expression des langues du premier ordre, l'élaboration d'une sémantique appropriée s'impose. Hintikka présente avec concision les éléments constitutifs de cette sémantique dans le paragraphe suivant. Il écrit:

Clearly what is involved is a set omega of possible worlds or of models in the usual sense of the word. Each of them, say m is a member of omega is characterized by a set of individuals i(m) existing in that possible world. An interpretation of individual constants and predicates will now be a two argument function f(a, m) or f(q, m) which depends also on the possible world m in question. Otherwise an interpretation works in the same way as in the pure first-order case, and the same rules hold for propositional connectives as in this old case.

Les expressions introduites pas les verbes de perception sont susceptibles d'un traitement parallèle.

Pour Hintikka une telle traduction rend conceptuellement plus claires nos expressions intentionnelles, mais elle illumine aussi les problèmes traditionnellement posés par ces expressions, à savoir qu'elles sont réfractaires à l'application des principes de la substitutivité des identiques et de la généralisation existentielle. En effet ces deux problèmes ne se posent plus puisque nos références ne sont plus opaques; elles sont multiples. Hintikka résume nettement la solution assurée par le recours à la logique des mondes possibles dans le paragraphe suivant:

The actual truth of the identity "a=b" means that the terms 'a' and 'b' refer to the same individual in the actual world. From this it follows that they are interchangeable in so far as we are speaking of the actual world only, that is to say, in so far as they occur outside the scope of all modal terms. But since modal terms introduce more than one possible world and since there are no general reasons why two terms (like 'a' and 'b') that actually refer to one and the same individual should do so in other possible worlds, there is not the slightest excuse to think that they are interchangeable in "modal contexts".

Le problème, donc, ne se pose pas dans la logique de Hintikka. Il est résolu sans faire appel aux entités intensionnelles et sans multiplier les verbes des attitudes propositionnelles à la Quine.

De même, la généralisation existentielle ne pose plus de problèmes. Elle est légitime pour b si b se réfère au même individu dans tous les mondes compatibles avec ce que a croit, ou si:

(Ex) (Ca (x=b) & (x=b))

De surcroît, observe Hintikka, dans le langage ordinaire nous quantifions souvent à l'intérieur de contextes gouvernés par des attitudes propositionnelles quand nous employons des expressions telles que: "knows who", "sees what" etc. Ces expressions ne sont pas opaques. Elles désignent un objet déterminé. Cette observation mène Hintikka à faire l'analyse de la distinction médiévale entre des modalités de dicto et de re en termes de mondes possibles.

Reprenons l'exemple numéro 5 de chapitre l. Nous avions là affaire à un énoncé:

5) Don Quichotte croit qu'il existe quelqu'un qui a métamorphosé le visage de Dulcinée en museau de vampire.

ayant deux interprétations éventuelles: une interprétation indéfinie, de dicto:

5a) Don Quichotte croit qu'il existe quelqu'un (qui que ce soit) qui a ....

et une interprétation définie de re:

5b) Il existe quelqu'un dont Don Quichotte croit qu'il a métamorphosé...

et nous les a formulées ainsi:

5a') Don Quichotte croit que Ex (x a métamorphosé...)

5b') Ex (x a métamorphosé... et Don Quichotte croit que x a métamorphosé...).

Dans la sémantique de Hintikka les cas de dicto nous renvoient à la considération de mondes possibles. En effet, selon lui, la distinction de dicto-de re se dissout si nous avons uniquement à faire avec le monde actualisé.

Dans notre exemple, la croyance de dicto concerne les malins enchanteurs divers qui, dans leurs mondes respectifs, ont métamorphosé le visage de Dulcinée. Ces mondes possibles sont compatibles avec tout ce que Don Quichotte croit. Ces personnes sont, donc, normalement, différentes et ne sont liées l'une avec l'autre (par des lignes "trans-mondiales") que si Don Quichotte croit qu'il sait qui exactement a commis ce forfait.

En revanche, lorsqu'il s'agit de contextes de re, nous avons à faire à un individu qui appartient au monde réel et qui a métamorphosé le visage de Dulcinée. Nous nous accrochons à cet individu et nous le poursuivons, suivant sa ligne trans-mondiale, jusqu' aux divers mondes de croyances de M. Quichotte. L'individu constitué par la ligne trans-mondiale est celui qui est l'objet de la croyance.

Un tel maniement des problèmes traditionnellement posés par la logique des expressions intentionnelles permet, donc, de dissiper ces problèmes sans faire appel à des entités médiatrices. Les sens s'expliquent en termes de référence ; toute intension est devenue extension. Ceci pourrait, estime Hintikka, ouvrir la voie à des interprétations béhavioristes des phénomènes intentionnels. Il s'exprime sur cette question ainsi :

The main new perspective that opens here consists of certain increased prospects of convincingly and systematically demonstrating the empirical and perhaps also behavioristic import of both intentional concepts and propositional attitudes such as belief, even when they are used non-extentionally.

Pourtant, ces considérations mêmes soulèvent des difficultés concernant la "constitution" de ces individus, à savoir: Comment sait-on que l'on se réfère toujours au même individu dans les mondes divers dont il est question? Quel pourrait être le critère d'identification des individus quand on passe d'un monde à un autre? Qu'est-ce que c'est qu'une ligne trans-mondiale?

Hintikka confronte ces questions dans les deux articles dont il est question ici, mais il suffit de simplement parcourir ces pages pour voir combien sa pensée a évolué durant l'année qui s'écoula lors de la mise à jour du premier article.

A l'époque de "Logic of Perception" (1967), Hintikka a répondu à cette difficulté avec dédain. Il se débarrasse du problème dans les passages suivants qui méritent d'être cités parce qu'ils montrent bien l'attitude de leur auteur en présence de cette question. Il écrit :

...and it is clear that an attempt to describe these criteria is not the business of a poor modal logician… I do not see much reason to worry whether suitable methods of individuation exist, although my philosophical colleagues may find plenty to worry about in the question of exactly how the methods we ordinarily rely on are to be described.

et:

If certain doctrines of reincarnation were taken seriously and if it really were possible to find out about people's earlier incarnations, our methods of individuation would have to be changed. If the equally improbable motto of the Wykehamists were literally true and manners were what "maketh man", other criteria of individuation than such mundane things as bodily continuity would be needed. Certainly we can imagine a primitive tribe performing a kind of Wittgensteinian Language game to which successive kings and medicine men are really one and the same person, irrespective of differences in looks and memories, as the successive Dalai Lamas are believed to be one and the same person by true believers.

Un an plus tard Hintikka reprend la question, mais cette fois plus sérieusement. Il n'en demeure pas moins évident que pour lui nous disposons tous, instinctivement, des méthodes d'individualisation recherchées. Aussi variées que puissent être les circonstances de nos croyances, espérances, désirs etc., nous nous estimons tous capables de reconnaître les individus dont il est question, malgré les variations. Nous sommes tous doués de la capacité d'identifier ces individus à travers des cours d'évènements divers et nous savons naturellement si un individu qui figure dans un état de choses est, oui, ou non, identique à individu figurant dans un autre état de choses. Nous nous constituons nous mêmes les lignes trans-mondiales.

Or, en dépit de ces protestations, il accepte d'incorporer ces façons natives d'individualiser dans sa sémantique. Il réalise ceci en introduisant un ensemble de fonctions F dont chaque membre f détermine au plus un individu f(m) du domaine: d'individus i(m) de chaque monde m. Une telle fonction n'existe peut-être pas pour chaque monde. Donné f1, f2 appartiennent à F, si f1 (m) =: f2(m), alors f1 (l) = f2(l) pour chaque alternative à m,l. Pour l'ensemble F, donc, déterminer si oui ou non a appartient à (m) est identique avec b appartient à i(l) revient à savoir s'il existe une fonction de f appartient à F telle que f(m) = a, f(l) = b. Bien que Hintikka envisage d'autres façons de parvenir au même résultat (par exemple parler de domaines d'individus partiellement identiques), il préfère souligner le rôle des fonctions f appartient à F en tant que cela met bien en relief l'importance de notre capacité inhérente à reconnaître le même individu malgré les variations éventuelles.

Hintikka rend compte du kantisme de ces observations et il en parle dans la section de "Semantics for Propositional Attitudes" intitulée "Towards a Semantic Neokantisme". Il écrit:

These possible worlds and the supply of individuating functions which serve to interrelate their respective members may enjoy, and in my view do enjoy, some sort of objective reality. However, their existence is not a natural thing. They may be as solidly objective as houses or books, but they are as certainly as these created by man (however unwittingly) for the purposes of facilitating their transactions with the reality they have to face. Hence my reasoning ends on a distinctively Kantian note. Whatever we say of the world is permeated throughout with concepts of our own making. Even such prima facie transparently simple notions as that of an individual turn out to depend on conceptual assumptions dealing with different possible states of affairs. As far as our thinking is concerned, reality cannot be in principle wholly disentangled from our concepts.

 

D. Føllesdal: Comme on peut s'y attendre les noèmes ressemblent en presque tout aux Sinne linguistiques

Pour rattacher sa sémantique du discours intentionnel à la pensée de Husserl, Hintikka s'appuie sur des parallèles établis par son collègue Dagfinn Føllesdal entre la pensée de ces deux penseurs, parallèles qui ont été poursuivis par leurs élèves Ronald Me Intyre et David Smith. En raison de la réussite et de l'influence (sur Hintikka notamment) de cet article, et d'autant plus parce Føllesdal prend le contre-pied de notre propre position (voir appendice), nous proposons de résumer ici l'essentiel de la thèse soutenue par Føllesdal.

Dans son article de 1969, "Husserl's Notion of Noema", Føllesdal cherche à découvrir certaines analogies entre la notion du noème de Husserl et la théorie sémantique de Frege. Il allègue que, Husserl, en élaborant la théorie du noème sut surmonter les problèmes posés par la doctrine d'intentionnalité de son maître Brentano, et il suggère que l'examen approfondi de la pensée de Husserl pourrait éventuellement contribuer à la résolution de difficultés entourant des théories de signification anciennes et récentes.

Conscient de ce que son interprétation s'oppose aux interprétations usuelles de cette question, Føllesdal s'appuie sur les premiers écrits phénoménologiques de Husserl, Logische Untersuchungen (1900) et Ideen (1913), et sur un manuscrit inédit et peu connu, Noema und Sinn (non-daté).

Dans l'interprétation soutenue par Føllesdal, les noèmes de Husserl sont des entités abstraites et intensionnelles apparentées aux Sinne de Frege. Chez Brentano ce sont des objets intentionnels eux-mêmes qui sont visés par les actes intentionnels, tandis que pour Husserl les objets d'actes intentionnels sont visés en vertu des noèmes. Etre intentionnel, être dirigé est simplement avoir un noème.

La thèse majeure de Føllesdal s'exprime ainsi :"The noema is an intensional entity, a generalization of the notion of meaning (Sinn Bedeutung). Selon Føllesdal, Husserl proposa que la portée de ces termes, normalement limitée à la sphère linguistique, fût amplifiée et modifiée pour inclure la sphère de tous les actes, ou en terminologie husserlienne, toute la sphère noétique-noématique.

Les noèmes sont, donc, des Sinne au sens le plus large du mot. Ils sont composés de deux parties: l) le Sinn noématique qui est commun à tous les actes se rapportant au même objet ayant les mêmes caractéristiques apparentes, orientés de la même manière, figurant sous les mêmes modes d'apparaître etc. Ce Sinn noématique reste indifférent au caractère thétique de l'acte. 2) La partie du noème qui varie en fonction de l'aspect thétique de l'acte.

Les noèmes doivent être strictement distingués des objets visés par la conscience. A l'unique objet correspondent de multiples modes de conscience, actes ou noèmes. Tout noème a son objet propre, mais des noèmes divers peuvent se rapporter au même objet. De même, tout acte se dirige vers un seul et unique objet, mais des actes séparés peuvent s'agréger autour du même objet. L'objet reste identique et inchangé, mais il se montre sous différents aspects. Les noèmes correspondant à un objet donné sont alors des entités abstraites qui ne doivent pas être confondues avec l'objet même. Ils subsistent indépendamment de leurs objets.

Les noèmes sont saisis, non pas par les sens, mais par la réflexion phénoménologique. L'objet, susceptible d'une série de mutations et d'altérations, se présente à la conscience comme un enchaînement de perceptions qui se poursuit de façon quelconque. On saisit tantôt telle ou telle partie, tel ou tel moment, telle ou telle perspective du tout. Mais ces variations n'altèrent pas ce qui apparaît quant à son propre fonds de sens. La chose apparaît et se développe selon une unité ininterrompue tout en s'articulant de multiples façons. En chacun des vécus "habite" le sens noématique où réside un pur quelque chose qui joue le rôle de centre unificateur. Cette unité, connue et établie dans la réflexion phénoménologique à partir de ces perspectives variantes, et en combinaison avec le mode de donation de l'objet, est le noème. Le noème est, donc, un système complexe de déterminations qui assure que, à partir d'une multitude de données visuelles, tactiles, etc., un seul et unique objet est constitué.

"Comme on peut s'y attendre, conclut Føllesdal, les noèmes se ressemblent en presque tout, aux Sinne". Pour étayer sa conviction, il signale plusieurs points de similitude entre les deux notions.

l) Les noèmes et les Sinne sont des entités intensionnelles.

2) La notion de noème représente l'élargissement de la notion de Sinn et les deux notions trouvent leur source en réflexion sur signification et langage.

3) Il s'agit, dans les deux cas, d'entités abstraites non-perçues par les sens.

4) De même que les noèmes ne peuvent pas faire partie de l'objet, les Sinne ne peuvent pas faire partie de la référence.

5) Les Sinne noématiques sont ces entités en vertu desquelles la conscience se rapporte à un objet; ils servent à individualiser les objets de nos actes intentionnels. Les Sinne linguistiques sont ces entités en vertu desquelles nos expressions désignent leurs références.

6) Les Sinne de Frege servent à éclairer certains aspects de la référence. Ceci s'applique dans une certaine mesure aux noèmes, en tant que des actes ayant le même objet, mais ayant des noèmes séparés, peuvent se diriger vers des aspects divers de cet objet, le saisir à partir de diverses perspectives.

7) Une infinité de noèmes et de Sinne peuvent correspondre à un objet sans jamais pouvoir le saisir complètement En terminologie husserlienne, les objets physiques restent toujours transcendants.

8) L'acte intentionnel sans objet se dirige, tout de même, vers un noème; l'expression sans référence se dirige vers le Sinn usuel de l'expression.

A cette liste de points de similitude, Føllesdal ajoute un point de divergence qui est important pour les questions que nous examinons ici: Frege considéra que, pour les contextes intentionnels (je crois que..., je pense que…, etc.), les termes ont pour référence, non pas leur références usuelles, mais leur Sinne usuels, et ce fait eut des incidences importantes sur leurs analyses de ces expressions.

 

L'identification d'individus à travers des mondes possibles et la constitution husserlienne sont, au fond identique.

Hintikka accepte pleinement les parallèles suggérés par son collègue ("Dagfinn Føllesdal has shown convincingly how Husserl's theory is both historically and systematically a further development of Frege's views)." . En effet, en traçant les parallèles entre les Sinne de Frege et les noèmes de Husserl, Føllesdal a fourni à Hintikka des moyens de jeter un pont sur l'abîme qui sépare la pensée des héritiers des deux grands philosophes du tournant du siècle. On voit le résultat dans deux articles "The Intentions of Intentionality" et "Concept and Vision" où Hintikka considère de nouveau la question de la constitution des individus dans ses mondes possibles, tout en expliquant des affinités qui, à son avis, existent entre sa propre pensée et celle de Husserl.

Frege, estime Hintikka, sut tracer la distinction entre référence et sens, mais, selon Hintikka, ces notions furent valorisées et systématiquement élaborées pour la première fois dans les premiers écrits phénoménologiques de Husserl (ie. Logische Untersuchungen et Ideen). Hintikka écrit:

Husserl was especially interested in what he called the intentionality of the acts of the human mind, that is, in the fact that they can, as it were, point to something beyond themselves, be directed to it, according to Husserl, this intentionality presupposes a distinction which generalizes the Fregean distinction. Frege's reference he called simply objects, and those meanings which enable an act to be directed to an object he called by the Greek word 'noemata' (singular: noema). Although the object-noema distinction is applied more freely than Frege's distinction between reference and sense (Bedeutung vs. Sinn), the extension is hardly an extension for Husserl thought that all noemata can in principle be expressed by linguistic meanings, which are precisely Sinne in Frege's sense.

Selon cette interprétation, donc, l'approfondissement par Husserl de l'enseignement de son maître mena ce premier à reprendre et à élaborer la distinction de Frege entre Sinn et Bedeutung. Les Sinne devinrent les noèmes; les Bedeutungen, les objets de Husserl. La phénoménologie sera la recherche et l'étude des noèmes.

Hintikka aborde la question de constitution chez dans le passage qui suit:

Husserl locates the 'given' in what he calls sense data (Empfindungsdaten) or hyletic data or simply hyle…. However, sense data alone are not by themselves experiences of an object… and hence are not by themselves intentional according to Husserl's criteria. However, hyletic data normally occur as components of more comprehensive experiences, acts, which in addition to the hyle contain experiences of an intentional kind, the noeses. The noesis 'informs' the hyle, so that this multitude of visual, tactile and other data is unified into a set of appearances of one object, and only thereby made intentional in Husserl's sense.

Les objets de notre connaissance, donc, ne sont ni donnés automatiquement, ni donnés directement par la perception. Les données de nos sens (hyle) ne sont conceptualisées (rendues intentionnelles) que par l'intervention et la superposition des noèses. Ce sont ces noèses (thought-elements) qui les dotent d'une structure. Les hyle doivent être organisés en conformité avec nos souvenirs, nos espérances, nos présomptions, c'est-à-dire avec la totalité des idées que nous associons à l'objet en question.

Le système complexe de déterminations qui unifie cette pluralité est le noème. Ces entités intensionnelles sont les outils conceptuels en vertu desquels on se dirige vers, on saisit mentalement les objets de nos actes intentionnels. Elles établissent la direction de la pensée. Ainsi que les Sinne de Frege déterminent la référence d'une expression, de même les noèmes déterminent l'objet de l'acte intentionnel.

Hintikka décrit son noème d'un arbre ainsi:

My conception, my noema, of a tree is not tied to any particular perspective, in the sense that it comprises many things that are not perceived at one and the same time. Here it might be especially helpful to think of a noema as a complex of expectations. When I see a tree I expect that it has a back and sides, and I may also have definite expectations (say) of its hidden branches. (These expectations may be due to earlier experiences). I expect certain definite things to happen to my visual impressions of the tree when I change my position (the perspective from which I am looking at the tree), and I expect certain things to remain constant when the lighting conditions change, all this illustrates what can and cannot belong to the noema of the tree.

Or, Hintikka, suivant Smith et Mc Intyre, radicalise la thèse de Føllesdal d'une façon importante et qui aura des incidences importantes sur ses tentatives pour résoudre des problèmes posés par des expressions intentionnelles. Ils allèguent que Husserl soutint que les noèmes peuvent s'exprimer en langage. Les noèmes deviennent donc, en quelque sorte, des concepts, et de ce fait d'autant plus apparentés aux Sinne de Frege. L'intentionnalité de Brentano se conceptualisa dans les mains de Husserl. Le domaine de l'intentionnel et le domaine des concepts sont devenus un. Il écrit:

Husserl in any case unmistakably identified the intentional with the conceptual. He went so far as to hold that all 'meanings' relevant to intentionality can be expressed in language. The vehicle of intentionality apud Husserl are the noemata, and every noematic 'meaning' is according to him conceptualizable. Whatever is 'meant as such', he writes, every meaning in the noematic sense (and indeed as noematic nucleus) of any act whatsoever can be expressed conceptually (durch Bedeutungen).

Ces considérations ont mené Hintikka à suggérer que:

In the way as we, according to Husserl, can intend one definite object only by means of

a noema, in the same way, we can, on my view, have knowledge of one definite object only if we can re-identify it in several possible worlds. In fact, I submit that the two processes, the cross identification of individuals and their Husserlian constitution, are at the bottom identical.

Il accompagne ces mots d'une nouvelle tentative pour donner une idée claire de la façon dont, d'après lui, les individus sont constitués et la façon dont leur continuité est assurée dans ses mondes possibles.

Hintikka conçoit la situation ainsi: A ceux qui se mettent à ces questions munis d'un assortiment d'individus, déterminés dès l'abord, qui apparaîtront dans les divers mondes possibles, Hintikka oppose la primauté des mondes possibles et de lignes trans-mondiales. Les apparitions du même individu dans les mondes divers sont liées par ces lignes trans-mondiales qui sont, pour ainsi dire, des représentations graphiques des fonctions qui nous indiquent comment nous pouvons retrouver le même individu à travers des cours d'événements divers.

L'identité des individus en question n'est pas déterminée d'avance. Elle n'est pas fixée par des pouvoirs transcendants (la logique, Dieu, la Nature). On retrouve et on identifie les objets appartenant aux mondes divers correspondant à nos espérances, nos souvenirs, nos croyances, etc. en faisant appel à des ressources diverses mises à notre disposition. Notre constitution d'objets dépend des décisions collectives de notre culture; elle est enracinée dans notre acceptation, tacite et collective, de la grammaire et de la sémantique de notre langue. On l'assure, au moins partiellement, en comparant les mondes divers qui seraient habités par l'individu en question.

Cette notion de constitution, Hintikka insiste, elle n'est pas très éloignée de la théorie de constitution de Husserl. L'objet de nos attitudes propositionnelles (i.e. le noème de Husserl; l'individu de Hintikka) est connu et re-connu par des approximations successives. Il n'est jamais saisi complètement; il reste toujours transcendant. Des concepts, des Sinne, des noèmes (synonymes chez Hintikka) déterminent leurs références, leurs objets. Ils accomplissent tacitement (Husserl rend ce processus explicite avec l'époché) les tâches de l'individualisation et de l'identification des individus dans les mondes régis par nos actes mentaux. Cependant, selon Hintikka, Husserl et Frege ne réussirent jamais à se débarrasser de l'idée trompeuse selon laquelle les Sinne et les noèmes sont des entités. Dès qu'on accepte que les noèmes sont, non pas des entités mais des fonctions, on franchit les limites de la science d'intentionnalité de Husserl et on pénètre dans les mondes possibles de Hintikka.

 

 

ANALYSES ET CONCLUSIONS

 

De tels efforts pour établir des parallèles entre la philosophie analytique et la phénoménologie se heurtent à quelques paradoxes, paradoxes qui proviennent des remaniements qui s'avèrent nécessaires dès qu'on cherche à accommoder, au sein d'un système de pensée donné, des notions dérivant d'une philosophie dont les notions de base leur sont opposées. Il nous paraît paradoxal :

1. que l'on pense à combattre l'attitude de Quine, selon laquelle les expressions intentionnelles n'ont aucune place dans le discours proprement scientifique, en faisant appel à un philosophe qui est fondamentalement d'accord avec lui sur ce point. Considérer:

Husserl: Des expressions objectives font partie, par exemple, toutes les expressions théoriques, par conséquent celles sur lesquelles s'édifient les principes et les théorèmes, les démonstrations et les théories des sciences "abstraites". Les circonstances du discours actuel n'ont pas la moindre influence sur ce qui signifie, par exemple, une expression mathématique. Nous la lisons et la comprenons sans penser en quoi que ce soit à une personne qui l'énonce. Il en est tout autrement des expressions qui servent aux besoins pratiques de la vie commune et également des expressions qui dans les sciences, concourent à la préparation des résultats théoriques. Je vise, sous ce dernier rapport, les expressions dont le chercheur accompagne les activités de sa propre pensée, ou par lesquelles il fait connaître aux autres ses réflexions, ses efforts, ses dispositions méthodiques et ses convictions provisoires.

Là où les sciences développent des théories systématiques, là où, au lieu de communiquer la simple démarche de la recherche et de la fondation subjective, elles nous présentent comme une unité objective le fruit mûr d'une vérité connue, il n'est jamais nulle part question de jugements, ni de représentations ou d'autres actes psychiques.

 

Quine: So in Word and Object I left the idioms of propositional attitudes in a second grade status, along with indicator words: the status of useful vernacular having no place in the austere apparatus of scientific theory.

Not that I would forswear daily use of intentional idioms, or maintain that they are practically dispensable. But they call, I think, for bifurcation in canonical notation.… If we are limning the true and ultimate structure of reality, the canonical scheme for us is the austere scheme that knows no quotation but direct quotation and no propositional attitudes.

 

Paul Gochet nous rappelle que Frege considéra la situation de la même façon et il est intéressant de noter que pour tous les efforts accomplis pour un rapprochement on n'a jamais remarqué que Husserl et Frege aient pris, tous deux, la même position à l'égard du rôle des expressions intentionnelles dans le discours scientifique. Gochet écrit:

Or, dans la mesure où une phrase ne peut être rendue indépendante du contexte Quine estime qu'elle n'a pas sa place dans la notation canonique de la langue scientifique, comme le Begriffsschrift de Frege, ne doit contenir que des énoncés qui sont interprétables sans illusion à ce que Frege appelle "le jeu réglé du locuteur et de l'auditeur". Frege procédait à cette exclusion des facteurs pragmatiques et contextuels parce qu'il voulait faire une théorie de la preuve mathématique. Chez Quine l'exclusion de ces mêmes facteurs est motivée par le souci de construire une notation canonique dont les traits soient révélateurs du réel.

 

2. que Hintikka puisse suggérer que

The main new perspective that opens here consists of certain increased prospects of convincingly and systematically demonstrating the empirical and perhaps also behavioristic import of both intentional concepts and propositional attitudes such as belief, even when they are used non-extentionally.

et, donc que les particularités du voyage de Husserl parmi les structures de la région autonome de la conscience pure puisse éventuellement apporter quelque chose à ceux qui cherchent des explications behavioristes des phénomènes dits intentionnels, c'est à dire à ceux qui, comme Quine, sont persuadés du "baselessness of intentional idioms and the emptiness of a science of intention" et que les découvertes du moi transcendantal puissent éventuellement apporter une contribution aux efforts de la part de ceux qui nieraient l'existence d'une telle entité.

 

3. qu'en s'adressant aux philosophes aussi économes et convaincus de l'utilité du rasoir d'Ockham que sont les héritiers de Frege et Russell, qu'on invoque le nom de celui qui, à leur avis, a été un des multiplicateurs d'entités par excellence.

 

4. que Hintikka recoure à des notions fondamentales d'une logique transcendantale pour expliquer un phénomène qui, selon lui, relève du langage. Hintikka nous rappelle à plusieurs reprises que :

the world lines of individuals are not fixed by immutable laws of logic or God or some equally transcendent powers but they are as it were drawn and described by ourselves ?of course not by each individual alone but by the tacit collective decision embodied in the grammar and semantics of our language.

De plus, on a du mal à voir comment Hintikka pense à attirer à lui des logicistes tout en faisant appel à un auteur qui, en général, inspire de la répugnance à ces philosophes. Aussi il essaiera en vain de rallier des husserliens à sa cause, les buts de son entreprise étant trop éloignés de ceux de la phénoménologie.

En dehors de ces "paradoxes", de telles recherches se heurtent à des difficultés. Ces difficultés peuvent se diviser en deux catégories: l) les difficultés qui se rapportent aux thèmes plus larges de la philosophie analytique en générale; et 2) les difficultés qui relèvent de la nature de ces recherches mêmes. Nous nous proposons de commenter ici les aspects de ces dernières qui, à notre avis, recouvrent les buts spécifiques de notre travail, à savoir ces aspects qui nous permettrons plus facilement de tirer des conclusions sur la valeur et le bien fondé de tels efforts de philosophie comparée.

1. La thèse, (représentée ici par Feigl et Hintikka), selon laquelle la résolution de problèmes d'ordre logique peut nous éclairer sur le phénomène d'intentionnalité même nous parait hautement discutable. Il ne nous est pas évident qu'un tel lien puisse exister entre les phénomènes logiques et les phénomènes psycho-physiques.

Les expressions intentionnelles sont référentiellement opaques parce que l'attitude propositionnelle, en nous signalant que nous avons à faire à des vécus passagers de la conscience, nous jette dans l'ombre. Ces expressions, du fait qu'elles portent à l'expression des vécus passagers et personnels, sont de nature essentiellement subjectives, et on ne peut pas s'attendre à ce qu'elles donnent des informations nécessairement objectives sur l'état de choses qu'elles prétendent décrire.

La logique extentionnelle a été élaborée pour bannir, et nullement pour accommoder, l'élément subjectif du discours scientifique et il n'est pas étonnant que des expressions essentiellement subjectives se montrent rebelles aux principes de base d'une logique qui, ressortissant d'une opposition au psychologisme, a été formulée expressément pour purger le discours scientifique de toute trace de subjectivité.

Husserl lui-même ne confond pas le phénomène d'intentionnalité et la logique des expressions qui décrivent des vécus psychiques passagers. Il exclut ces expressions essentiellement occasionnelles du discours scientifique tout en se mettant à l'étude du phénomène d'intentionnalité, sans y voir une contradiction.

2. Husserl proposa que la portée des notions de Sinn et Bedeutung, normalement limitée à la sphère linguistique, fût amplifiée et modifiée pour inclure la sphère de tous les actes. Hintikka tient à ce que ces noèmes une fois saisis puissent être exprimés en langage, et qu'ils soient de ce fait, identiques aux Sinne linguistiques. Ce faisant il reprend la thèse de ses élèves Ronald Mc Intyre et David Smith. Ces derniers allèguent que:

For Husserl linguistic meaning and noematic Sinn are one and the same. For according to Husserl, every linguistic meaning is a noematic Sinn expressed and every noematic Sinn is in principle expressible and therefore a linguistic meaning.

Une telle identification soulève plusieurs problèmes:

1) on ne peut pas identifier les objets et les expressions qui décrivent ces objets. 'Dulcinée' n'est aucunement identique à Dulcinée. Il n'est pas vrai de 'Dulcinée' qu'elle soit la dame du cœur captif de Don Quichotte ; et il n'est pas vrai de Dulcinée qu'elle ait 8 lettres.

2) Bien que Husserl tienne que tout Sinn noématique puisse être exprimé durch Bedeutungen, il considère aussi:

que l'expression n'est pas une sorte de vernis plaqué sur la chose, ou de vêtement surajouté ; elle réalise une formation mentale qui exerce de nouvelles fonctions intentionnelles à l'égard du soubassement intentionnel, et qui est tributaire corrélativement des fonctions intentionnelles de ce soubassement.

3) Concernant les descriptions éventuelles des noèmes Husserl nous rappelle que:

Il est clair que tous ces énoncés descriptifs, quoi qu'ils puissent rendre le même son que des énoncés concernant la réalité, ont subi une radicale modification de sens; de même que la chose décrite, tout en se donnant comme "exactement la même", est radicalement changée, en vertu pour ainsi dire d'un changement de signe qui l'invertit. C'est "dans" la perception réduite (dans le vécu phénoménologique pur) que nous découvrons, comme appartenant indissolublement à son essence, le perçu comme tel qui demande à être exprimé comme "chose matérielle" "plante" "arbre" "en fleur" etc. Les guillemets sont manifestement significatifs. Ils expriment ce changement de sens, la modification radicale de signification que le mot subit parallèlement.

3. La philosophie analytique est si pénétrée du "principe de parcimonie" de Russell que les philosophes anglo-saxons sont très peu enclins à juger acceptable de telles dissertations sur des intensions. Ces philosophes, en général, se sentent libérés par les innovations qui, en logique, leur ont permis de se débarrasser d'entités douteuses en les remplaçant par des constructions logiques. L'attitude de Quine est représentative. Il prend une position sans équivoque contre les intensions. Dans Ways of Paradox on trouve les déclarations suivantes:

Of itself multiplication of entities should be seen as undesirable, conformably with Occam's razor, and should be required to pay its way. Pad the universe with classes or other supplements if that will get you a simpler smoother overall theory; otherwise don't. Simplicity is the thing, and ontological economy is one aspect of it.

Intensions are creatures of the darkness, and I shall rejoice with the reader when they are exorcised.

On a travaillé dur pour éliminer la nécessité de recourir aux entités douteuses. On ne peut pas s'attendre à ce que ces philosophes aillent courir vers les noèmes de Husserl, même si ces noèmes ont été rendus extentionnels, et donc plus anodins.

4. La pensée de Hintikka, telle qu'on l'a exposée ici, s'appuie surtout, nous semble-t-il sur la parenté qui, d'après lui, existe entre les Sinne de Frege et les noèmes de Husserl. Il accepte pleinement la thèse de Føllesdal selon laquelle les noèmes représentent, historiquement et systématiquement, l'approfondissement ultérieur de la théorie sémantique de Frege. Ce faisant, il rejoint les efforts de ses contemporains qui, en maniant et remaniant la distinction entre Sinn et Bedeutung de Frege, cherchent à éliminer ou à justifier (selon le cas) le recours aux Sinne pour rendre compte des expressions se révélant réfractaires aux méthodes usuelles de la logique extentionnelle.

Si les noèmes représentent effectivement l'extension et l'approfondissement ultérieur d'un des éléments intégrants de la sémantique frégéenne, alors la réappréciation de cette notion husserlienne par Hintikka trouve, à notre avis, une place légitime dans les débats actuels concernant de la valeur de la distinction de Frege entre Sinn et Bedeutung.

Sinon, et si, une fois examinée dans son propre contexte, la parenté apparente entre les Sinne et les noèmes se révèle trompeuse et se dissout, alors l'emploi de la notion husserlienne à l'intérieur d'un système de pensée qui doit lui reste étranger semblerait moins justifiable et même aberrant.

Examinons, donc, ce cas important. Nous avons prétendu ailleurs (voir appendice) que Husserl développa sa notion de sens (sens linguistique, et puis sens noématique) indépendamment de ses contacts avec les écrits de Frege.

Les notions concernées dérivent d'une tradition philosophique dont Husserl et Frege étaient tous deux héritiers. Chaque auteur traça à sa façon des distinctions qui étaient déjà connues dans le vocabulaire philosophique de l'époque. Dans les deux cas il semble qu'il s'agisse d'interprétations différentes de distinctions que Bolzano détailla dans son Wissenschaftslehre.

De toute façon Husserl connut et employa ces distinctions (que plusieurs attribuent à Frege) avant que Frege les formule de la manière qui nous est si familière. Frege lui-même observa ce fait et le commenta dans sa lettre de 24. mai 1891.

Ce qui est plus, nous l'avons vu, Husserl rejeta les particularités de la façon dont Frege élabora ces notions. Il n'est pas, alors, question d'influence dans ce cas, s'agit t-il, peut-être, d'une parenté importante? A notre avis, non.

En abordant cette question il faut surtout se rappeler que Husserl fut l'élève de Brentano et que sa philosophie est déterminée par l'enseignement de son maître. Pour Husserl il existe une région autonome qui serait celle de la conscience pure et la "phénoménologie est la doctrine eidétique de la conscience transcendentalement purifiée". Elle est une "science eidétique purement descriptive portant sur les configurations immanentes de la conscience, sur les événements susceptibles d'être saisis au sein du flux vécu dans le cadre de la réduction phénoménologique". Elle veut

être une théorie descriptive de l'essence des vécus transcendentalement purs dans le cadre de l'attitude phénoménologique. Sa compétence embrasse tout ce qui dans les vécus réduits peut être saisi de façon eidétique dans une intuition pure, que ce soit à titre de constituant réel ou de corrélat intentionnel. Là elle trouve une source considérable de connaissances absolues.

Il va sans dire que cette façon de concevoir la tâche philosophique, dans son mentalisme, son essentialisme, son absolutisme, son psychologisme, son idéalisme etc. prend le contre pied de la position anglo-saxonne.

On pénètre dans ce domaine de conscience pure au moyen de l'époché. Bien qu'elle soit soutenable, la thèse de Hintikka selon laquelle l'importance de l'époché et les réductions phénoménologiques semblent:

best explicable in terms of objective meaning entities, the noemata, which the reduction is calculated to uncover, rather than the mind twisting that is supposed to help us reach them... the very meaning of the phenomenological reduction can only be understood in terms of the semantical and ontological status of noemata, not vice versa.

Il nous semble que Hintikka n'a pas suffisamment souligné le caractère radical de cette mise hors circuit du monde et du moi, et qu'il n'a pas suffisamment rendu compte à quel point le saisi des noèmes dépend de cette prise de position radicale. Il nous faut une véritable conversion. Il nous faut 'twist our minds'.

Husserl écrivit: "Même aujourd'hui la plupart des philosophes et des psychologues... semblent encore assez loin de comprendre que ce titre embrasse tout un champ offert à une pénible investigation, à savoir à une investigation eidétique." "En fait", il nous rappelle que:

quand on part d'évidences purement logiques, d'évidences empruntées à la théorie de la signification, à l'ontologie et à la noétique, ou encore quand on part de l'épistémologie normative et psychologique ordinaires, il faut suivre un chemin long et épineux avant qu'on ait pu saisir d'abord des données psychologiques immanentes au sens authentique du mot, puis les données phénoménologiques et finalement toutes les connexions eidétiques qui nous rendent intelligibles à priori les relations transcendantales.

Le saisi des noèmes est inconcevable sans l'emploi de l'epoché et les réductions phénoménologiques et cette mise hors circuit du monde doit rester étrangère aux adeptes de la philosophie analytique.

Husserl insiste sur l'epoché et les réductions phénoménologiques. Selon lui "those who set aside the phenomenological reduction as a philosophically irrelevant eccentricity... destroy the whole meaning of my work and of my phenomenology" Le saisi des noèmes est inconcevable hors de l'emploi des réductions phénoménologiques; les noèmes sont indissociables de leurs noèses corrélatifs et ces noèses ne sont aucunement des attitudes propositionnelles qui seraient plutôt un phénomène linguistique qui décrit des phénomènes mentaux de l'attitude naturelle. Tout bien considéré, ces entités sont d'après leur nature, loin d'être quelque chose que Hintikka pourrait saisir dans son attitude anglo-saxonne.

Le rôle des Sinne de Frege et des noèmes de Husserl diffèrent. Frege insista à plusieurs reprises sur le fait que celui qui cherche la vérité ne peut pas se contenter du sens. Pour parvenir à la rigueur du raisonnement le signe doit renvoyer immédiatement à la chose. "Veiller", il nous rappelle-t-il

à ce qu'aucune expression ne puisse être dépourvue de dénotation, à ce qu'on ne puisse jamais calculer sans y prendre garde sur des signes vides tout en croyant opérer sur des objets, c'est là ce qui exige la rigueur scientifique. On a fait récemment d'effroyables expériences avec des suites infinies divergentes.

Ces expressions sans référence nous renvoient à leur sens, et le sens ne peut jamais satisfaire aux besoins de la science.

Frege lui même fit savoir à Husserl qu'il différait d'opinion avec lui sur ce point. Le 24 mai 1891 il écrivit à Husserl :

Nur soviel möchte ich hier sagen, dass eine Meinungsverschiedenheit zwischen uns bestehen scheint darüber wie das Begriffswort (der Gemeinname) zu Gegenständen in Beziehung steht.... Bei Begriffsworte ist ein Schritt mehr bis zum Gegenstande als beim Eigenname und der letzte kann fehlen ?d.h. der Begriff kann leer sein?, ohne dass dadurch das Begriffsworte aufhört, wissenschaftlich verwendbar zu sein... Für den dichterischen Gebrauch genügt ist, das Alles einen Sinn habe, für den wissenschaftlichen dürfen auch die Bedeutungen nicht fehlen.

Husserl ne répondit pas directement aux suggestions faites par Frege. Il est bien possible, cependant, que c'est à ces Mittheilungen qu'il se réfère quand il écrivit le 18 juillet 1891 :

Ihre sachlichen Mittheilungen konnte ich mir leider noch nicht recht zu Nutze machen, ...So habe ich z.B. noch keine rechte Idee, wie Sie das imaginäre in der Arithmetik rechtfertigen wollen.

Si, effectivement, Husserl se réfère au schéma que Frege lui présenta, il signale un des points majeurs à propos duquel sa pensée diverge avec celle de Frege, à savoir: les sens et les noèmes de Husserl, en vertu de l'acte intentionnel peuvent se rapporter, de façon scientifiquement acceptable, à des objets imaginaires, non-existants et voire impossibles. Husserl insiste bien sur ce point. Il n'est pas nécessaire que l'intention de signification soit remplie par des objets actuellement existants. La science, et en particulier les sciences mathématiques, exige qu'on puisse référer à 'l'infinité d'expressions dont les mathématiciens établissent par des démonstrations indirectes et compliquées qu'elles sont a priori sans objet.'

Frege, par contre, nous met en garde contre les difficultés auxquelles on se heurte lorsqu'en mathématiques, on a affaire à des combinaisons de signes sans dénotation. Les Sinne peuvent satisfaire aux besoins du langage parlé et de la littérature mais ils n'ont aucune place dans la science. La recherche de la vérité nous pousse du sens vers la dénotation. L'homme de science ne peut jamais se contenter des sens.

Alors, bien que Frege et Husserl empruntent des notions similaires, ces notions, une fois insérées dans leur propre contexte sont destinées de jouer des rôles divergents.

Frege cherche à bannir les Sinne du discours scientifique. La nouvelle science de Husserl veut être la science des sens. Pour les héritiers de Frege l'imaginaire, le non-existant, l'impossible sont devenus le domaine propre de la littérature. Ils ont été écartés et niés par la logique extentionnelle. Husserl, en revanche, tint que:

il importe d'exercer abondamment l'imagination à atteindre la clarification parfaite exigée ici, à transformer librement les données de l'imagination; mais auparavant il lui faut les fertiliser par des observations aussi riches et exactes que possible sur le plan d'intuition originaire. Cette influence fécondante n'implique point naturellement que l'expérience comme telle joue le rôle d'une source de validité. On peut tirer un parti extraordinaire des exemples fournis par l'histoire et, dans une mesure encore plus ample, par l'art et en particulier par la poésie ; sans doute ce sont des fictions ; mais l'originalité dans l'invention des formes, la richesse des détails, le développement sans lacune de la motivation, les élèvent très au-dessus des créations de notre propre imagination; la puissance suggestive des moyens de représentation dont dispose l'artiste leur permet de se transposer avec une particulière aisance dans des images parfaitement claires qu'on les a saisies et comprises.

Ainsi peut-on dire véritablement, si on aime les paradoxes et, à condition de bien entendre le sens ambigu, en respectant la stricte vérité : la "fiction" constitue l'élément vital de la phénoménologie comme de toutes les sciences eidétiques ; la fiction est la source ou s'alimente la connaissance des vérités éternelles.

Une telle déclaration, qui ressort de la façon dont Husserl combina l'enseignement de Brentano et sa propre conception de sens et le rôle de ce dernier pour la connaissance scientifique ne serait jamais reconnu, ni de Frege, ni de ses successeurs.

 

Conclusions

Nous concluons donc:

- que nous manquons des données scientifiques nécessaires pour tirer des conclusions décisives sur le phénomène d'intentionnalité. Sans ces données, sans des repères suffisamment sûrs pour le guider, le philosophe ne peut qu'errer.

- que l'intensionnalité est une affaire de la logique qui n'a rien à faire avec l'intentionnalité de Brentano et de Husserl.

- qu'il n'y rien d'étonnant à ce que les expressions intentionnelles s'avèrent rebelles aux méthodes extentionnelles qui on été élaborées pour éliminer le personnel et le passager.

- qu'il n'y a pas raison de chercher à rendre extentionnelles les expressions intentionnelles.

- que les expressions intentionnelles n'ont pas de place dans la notation canonique de la langue scientifique.

- que la sémantique du discours intentionnel que Hintikka nous propose est, sans doute, ingénieuse et pleine d'adresse et elle donne une idée plus claire de ce que pourrait être l'opacité référentielle, mais quelle fin vise-t-elle en définitive?

- que les noèmes de Husserl ne sont pas, historiquement et systématiquement, l'élaboration ultérieure de notions frégéennes.

- que les noèmes de Husserl ne sont pas identiques à ses Sinne linguistiques.

- que la constitution husserlienne diffère de la constitution kantienne et les deux sont très éloignées de la notion de constitution de Hintikka.

- que Husserl serait offensé que l'on dise que ses noèmes visent leurs objets de la même façon que Hintikka reconnaît ses collègues à des congrès philosophiques.

- que les tentatives pour rapprocher la pensée de Husserl avec la pensée de Frege sont mal fondées et que ce recours à Husserl semble, donc, sans justification.

- que Hintikka aime jouer avec les mots et taquiner ses lecteurs anglo-saxons par des références à l'idéalisme continental (possible worlds, semantics neo-kantianism, constitution etc.).

- que les principes de base de la phénoménologie et de la philosophie analytique sont si différents que toute tentative de les rapprocher semblerait être vaine. De tels efforts reposent sur des ressemblances superficielles qui, une fois examinées dans leur contexte historique et idéologique, se révèlent trompeuses.

- que l'attitude eidétique et l'attitude anglo-saxonne ne sont nullement comparables.

NOTES

La littérature est trop abondante pour être citée ici. Le lecteur intéressé pourrait s'adresser à : Robert Solomon, Phenomenology and Existentialism, New York: Harper and Row, 1970; H. A. Durfee, Analytic Philosophy and Phenomenology, The Hague: Martinus Nijhoff, l976; E. N. Lee et M. Mandelbaum, Phenomenology and Existentialism, Baltimore: Johns Hopkins Press, 1967, où se trouvent recueillies parmi les meilleurs articles produits par ces efforts.

Voir la bibliographie de Barry Smith, " Frege and Husserl: the ontology of reference ", Journal of the British Society for Phenomenology, vol. 9 no. 2, May 1978, p. 125.

Franz Brentano, Psychologie vom empirische Standpunkt, Leipzig: Duncher und Humblot, 1874, livre II, chapitre 1. Traduction française de Gandillac, Psychologie du point de vue empirique, Paris: Aubier, 1944.

Traduction française p. 92.

Ibid., p. 102.

Ibid., p. 103.

Ludwig Wittgenstein, Philosophical Investigations, Oxford: Blackwell, 1976, 133e, 462.

Francis Jacques, " Référence et Description chez Meinong ", Revue internationale de philosophie, 1973, p. 270.

Edmund Husserl, "Lettre à Maria Brück", Über das Verhältnis E. Husserls zu Franz Brentano, Würzburg, 1933, p. 3.

Edmund Husserl, "Author's Preface to the English Edition", Ideas, traduction de Boyce Gibson, New York: Colliers Books, 1962.

Norman Kretzmann, "Semantics, History of", The Encyclopedia of Philosophy, ed. Paul Edwards, New York: Macmillan, 1967, p. 399.

Voir par exemple: Bertrand Russell, "Introduction", Tractatus, Paris: Gallimard, 1961, pp. 26-29. Histoire de mes idées philosophiques, Paris: Gallimard, 1961, pp. 146-147; Inquiry into Meaning and Truth, New York: Norton and Co., 1940, p. 142.

Ludwig Wittgenstein, Tractatus, Paris: Gallimard, 196l, para. 5.4 et s.; Philosophical Investigations, Oxford: Blackwell, 1976, 130e, 133e.

Rudolf Carnap, Logical Structure of the World, Berkeley: University of California Press, 1967, pp. 74-77.

A. J. Ayer, "Meaning and Intentionality", Metaphysics and Common Sense, London: Macmillan, 1969, pp. 35-46 ; The Origins of Pragmatism, London: Macmillan, 1968, pp. 40-49, 175-9; Thinking and Meaning, London: H. K. Lewis, 1947.

W. V. O. Quine, Word and Object, Cambridge Mass.: MIT Press, 1960, pp. 43-45; "Propositional Objects", Ontological Relativity and other Essays, New York: Columbia University Press, 1969, pp. 139-160; The Ways of Paradox, Cambridge Mass.: Harvard Univ. Press, 1969, pp. 158-177, 185-197, 221-228, 259-265.

Gilbert Ryle, The Concept of Mind, London: Hutchinson University Library, 1949, p. 230.

Jaakko Hintikka, The Intentions of Intentionality, Dordrecht: Reidel, 1975, p. 194.

Op. cit., Quine, Word and Object, p. 219.

John Searle, The Listener, 30. mars, 1978, p. 397.

"Intention", Encyclopedia of Philosophy, Paul Edwards ed., New York : Macmilllan, 1967, col. 4, p. 199.

Minnesota Studies in the Philosophy of Science, vol. 2, Herbert Feigl ed., Minneapolis: University of Minnesota Press, 1958, pp. 417-418.

Voir Paul Gochet, " La logique et la théorie d'intentionnalité ", Quine en Perspective, Paris: Flammarion, 1978, pp. 185-203, ou R. M. Chisholm, "Notes on the Logic of Believing", Philosophy and Phenomenological Research, vol. 24 (1963, pp. 195-201; ou R. M. Chisholm, "Intentional Inexistence", Perceiving, Ithaca NY: Cornell University Press, l961.

Gottlob Frege, Begriffsschrift, eine der arithmetischen nachgebildete Formelsprache des reinen Denkens, Halle a/S, 1879.

Gottlob Frege, "Fonction et Concept"", Ecrits logiques et philosophiques, Paris: Seuil, 1971.

La partie droite de Rx assurant que nous avons à faire à une seule et unique entité.

Voir à ce sujet: W. V. O. Quine, Word and Object, Cambridge, Mass.: M.I.T. Press, 1960 ou Logique Elémentaire, Paris: Colin, 1972, pp. 117-51.

Voir W.V. Quine, "Quantifiers and Propositional Attitudes", The Ways of Paradox, Cambridge Mass.: Harvard University Press, pp. 185-197 ; P. Gochet "Les problèmes posés par la logique des constructions intentionnelles", Quine en Perspective, Paris: Flammarion, 1978, pp. 195-201 ; J. Hintikka, "Semantics for Propositional Attitudes", Models for Modalities, Dordrecht: Reidel, 1969, pp.

Voir à ce sujet: Michael Dummett, "Frege' s place in the history of philosophy", Frege: Philosopher of Language, London: Duckworth, 1973, pp. 665-85; J. M. Bochenski, Formale Logik, Fribourg: Karl Alber, 1956, p. 8; J. van Heijenoort, From Frege to Gödel, Cambridge, Mass.: Harvard University Press, 1967, p. 7.

John Stuart Mill, Système de Logique, Paris: Librairie Philosophique de Landrange, 1866, pp. 262-3.

Gottlob Frege, Ecrits logiques et philosophiques, Paris: Seuil, 1971, p. 145.

Ibid., pp. 158-59.

Ibid., pp. 63-70.

Ibid., p. 66.

Nous empruntons ici les deux traductions du mot 'Bedeutung' tout en tenant compte des raisons du choix de Cl. Imbert (Ibid., p. 15) pour la dernière, et en tenant compte de la préférence de F. Jacques, Référence et description: Russell lecteur de Meinong, Paris: Université de Paris X, pour la première.

Ibid., p. 104.

Gottlob Frege, Nachgelassene Schriften und Wissenschaftlicher Briefwechsel, vol. l Hamburg, 1969, p. 129.

Op. cit., Frege, Nachlass, vol. II, 1976, p. 98.

Ibid., p. 96.

Op. cit., Frege, Nachlass, vol. 1, 1969, p. 135.

Op. Cit., Frege, Ecrits logiques et philosophiques, pp. 176-177.

Ibid., p. 108.

Ibid., p. 109.

Ibid., pp. 113-14.

Ibid., p. 117.

Voir Bertrand Russell, History of Western Philosophy, London: Allen & Unwin, 1946, p. 858, ou Introduction to Mathematical Philosophy, London: Allen & Unwin, 1919, p. 25 ou il écrit: "In spite of the great value of this work (Begriffsschrift), I was, I believe, the first person who ever read it ?more than 20 years after its publication." Or Russell a du savoir que, au moins Peano connaissait cet ouvrage et sa déclaration de 1903 (Principles of Mathematics, New York: Norton and Co., p. 51) est plus modeste et plus conforme aux faits. Il commence l'appendice de ce livre avec les mots suivants: "The work of Frege, which appears to be far less known than it deserves.…"

Bien peu quand même. Voir le commentaire de T. Bynum dans Gottlob Frege, Conceptual Notation and Other Articles, Oxford: Clarendon, 1972, p. 28, ou la déclaration de Frege, Grundgesetze der Arithmetik, Hildesheim: Olms, 1962, p. .

Edmund Husserl, "Reminiscences of Franz Brentano", The Philosophy of Brentano, Linda Mc Alister ed., London: Duckworth, 1976, p. 47.

Voir appendice: "Husserl: lecteur de Frege".

Edmund Husserl, Philosophie de l'Arithmétique, Paris: Presses Universitaires de France, 1972, p. 131.

Edmund Husserl, Recherches Logiques, Paris: Presses Universitaires de France, t. I, p. x.

Ibid., 59.

Ibid., p. 227.

Ibid., t. II, première partie, p. 4.

Ibid., p. 38.

Ibid., p. 43.

Ibid., p. 53.

Ibid., pp. 43-44.

Ibid., p. 64.

Ibid., p. 60.

Ibid., p. 62.

Ibid., p. 63

Ibid., p. 113.

Ibid.

Ibid. p. 111.

Ibid., p. 114.

Ibid., p. 93.

 

Voir à ce sujet Aron Gurswitsch "Outlines of a Theory of 'Essentially Occasional Expressions'", Readings on Edmund Husserl's Logical Investigations, The Hague: Martinus Nijhoff, 1977, pp. 112-128 ou J. N. Mohanty, Edmund Husserl's Theory of Meaning, The Hague: Martinus Nijhoff, 1964, chapter V, para. IV.

Op. cit., Husserl, Recherches Logiques, t. II-I, p. 90.

Ibid., p. 98.

Ibid., p. 50.

Ibid., p. 117.

André Muralt, L'idée de la phénoménologie, Paris: PUF, 1958, p. 126.

Edmund Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, traduction de Paul Ricœur, Paris: Université de Paris, 1950, p. 184.

Ibid., pp. 184-85.

Ibid., pp. 165-66.

Ibid., p. 289.

Ibid., p. 294.

Ibid., p. 288.

Jaakko Hintikka, "Carnap's Héritage", Intentions of Intentionality and other New Models for Modalities, Dordrecht: Reidel, 1975.

Jaakko Hintikka, Models for Modalities, Dordrecht: Reidel, 1969.

Ibid., p. 158.

Op. Cit., Hintikka, Intentions, p. 195.

Op. Cit., Hintikka, Models, p. 148.

Hintikka, Intentions, pp. 206-07.

Jaakko Hintikka, "Semantics for Propositional Attitudes", Logic and Philosophy for Linguists, ed. J. Moravsçik, Paris: Mouton, 1975, pp. 142-165. Pour la notation correcte, il faut voir les textes d'origine.

Op. Cit., Hintikka, Models, p. 158.

Op Cit., Hintikka, Intentions, p. 92.

Hintikka, Models, pp. 170-71.

Hintikka dans Logic and Language for Philosophers, p. 164.

Dagfinn Føllesdal, "Husserl's Notion of Noema", Journal of Philosophy, 66 (1969), pp. 680-87.

Ibid., p. 681.

Ibid., p. 684.

Jaakko Hintikka, "Concept as Vision", The Intentions of Intentionality, Dordrecht: Reidel, 1975, p. 228.

Recueillis dans Hintikka, Intentions.

Ibid., p. 228.

Ibid.

Ibid., p. 198.

Ibid., p. 232.

David Smith et Ronald Mc Intyre, "Intentionality via Intensions", Journal of Philosophy, 68. pp. 541-61, et leur livre à paraitre chez Reidel: Intentionality via lntensions: Husserl's Phenomenology and the Sernantics of Modalities; David Smith, Intentionality, Noemata and Individuation, thèse inédite, Stanford University 1970; Ronald Mc Intyre, Husserl and Referentialitv: The Role of the Noema as an Intensional Entity, thèse inédite, Stanford University, 1970.

Op. cit., Hintikka, Intentions…, p. 193.

Ibid., p. 217.

Edmund Husserl, Recherches Logiques, Paris: PUF, 1969, t. II-I, pp. 93-94.

Ibid., p. 107.

Willard Van Orman Quine, Ontological Relativity and Other Essays, New York: Columbia University Press, 1969, p. 146.

Willard Van Orman Quine, Word and Object, Cambridge, Mass.: MIT Press, 1960, p. 22l.

Paul Gochet, Quine en perspective, Paris: Flammarion, 1978, p. 20l.

Jaakko Hintikka, Intentions of Intentionality, Dordrecht: Reidel, 1975, p. 92.

Op. cit., Quine, Word and Object, p. 221.

Op. Cit., Hintikka, p. 209.

9 Ronald Mc Intyre et David Smith, .Husserl's Identification of Meaning and Noema" , The Monist, 59 (1975), p. 115.

Op. Cit., Husserl, Idées, p. 422.

Ibid., pp. 309-10.

Willard Van Orman Quine, Ways of Paradox, Cambridge, Mass.: Harvard University Press, 1916, p. 264.

Ibid., p. 188.

Gottlob Frege, Nachgelassene Schriften und Wissenschaftlicher Briefwechsel, Hamburg: Meiner, 1976, pp. 94-98.

Op. cit., Husserl, Idées, p. 196.

Ibid., p. 238.

Op. cit., Hintikka, p. 231.

Op. Cit., Husserl, Idées, p. 301.

Ibid., p. 302.

Edmund Husserl, "Author's Preface to the English Edition", Ideas, New York: Colliers, 1962, p. 16.

Gottlob Frege, Ecrits logiques et philosophiques, Paris: Seuil, 1971, p. 93.

Op. Cit., Frege, Nachlass, t. II, p. 96.

Op. Cit., Frege, Nachlass, t. II, p. 100.

Op. Cit., Husserl, Idées, pp. 226-27.